Episodios

  • En Grèce dans les années 30, de la censure dans l’air
    Apr 27 2025

    Dans son nouvel album Rébétissa (Futuropolis), David Prudhomme raconte comment le régime de Metaxas dans la Grèce des années 30 s’en est pris au rébétiko, la musique des exilés rébètes.

    Du 4 août 1936 à sa mort le 29 janvier 1941, la Grèce a vécu sous la férule du Premier ministre Ioannis Metaxas, militaire qui s’est illustré dans la guerre de 1897 contre l’Empire ottoman. Le régime de Metaxas était une dictature, inspirée de l’autoritarisme développé en Italie par Benito Mussolini. Les grèves sont déclarées illégales, les ciseaux de la censure sont de plus en plus actionnés.

    Dans le collimateur des autorités, il y a notamment les rébètes, ces marginaux, souvent originaire d’Asie Mineure. Ils exercent des activités peu lucratives : ils sont dockers, garçons d’abattoirs, pêcheurs ou petits artisans… Fumeurs de hashish, ils se livrent souvent à de menus larcins pour fuir la misère, et se retrouvent alors face à face avec la police.

    Cette vie de bohème, les rébètes la racontent dans des chansons populaires, les rébétika, pour lesquelles l’auteur de cet album de bande dessinée, David Prudhomme, a eu un véritable coup de cœur. À la fin de l’album, il propose d’ailleurs une playlist très fournie, qu’il n’est évidemment pas interdit d’écouter pendant la lecture, d’autant que certains titres ont été intégrés à son récit. On peut notamment citer Varvara, de Stellakis Perpiniadis, et Vagellitsa de Yannis Papaioannu.

    Le rébétiko est un genre musical qui émergea dans les années 1920 avec l’arrivée de vagues migratoires de populations hellénophones expulsés d’Asie Mineure. C’est ce que l’on appelle « la Grande Catastrophe », qui s’est soldée par le massacre ou l’expulsion de chrétiens d’Anatolie, et notamment de la région de Smyrne contrôlée par la Grèce.

    C’est justement de Smyrne que sont originaires plusieurs des artistes que met en scène David Prudhomme dans son album, confrontés à la censure du régime de Metaxas, qui entend éradiquer des accents beaucoup trop orientaux à son goût, et revenir à une forme de « pureté » originelle.

    Face à la menace, les joueurs de bouzouki, de baglama, de santouri, de kanonaki, d'outi ou d'accordéon doivent-ils ranger leurs instruments et courber la tête, ou prendre le risque de continuer à jouer dans le café où ils ont scène ouverte ? La patronne du café, la pétulante Katina, leur laisse le choix. Mais le dilemme est cornélien.

    Il y a 15 ans, David Prudhomme était primé au festival d’Angoulême pour son album « Rébétiko ». 15 ans après, il publie « Rébétissa » qui est en quelque sorte la petite sœur du premier, puisqu’il met cette fois en vedette deux femmes, deux chanteuses : la séduisante Béba et l’ambitieuse Marika.

    «Rébétissa», de David Prudhomme, est paru aux éditions Futuropolis.

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    21 m
  • Enfance de larmes, enfance de l’art
    Apr 26 2025

    Au Studio Hébertot, l’auteur et metteur en scène Olivier Lusse Mourier présente « Le Bétin », une pièce sensible et poétique qui raconte les maltraitances qu’il a subies lorsqu’il était enfant, et son cheminement pour se reconstruire.

    Paradoxalement, c’est une éclipse de soleil qui a fait se lever la lumière : la dernière du XXè siècle en France, celle du 11 août 1999. En entendant l’annonce à la radio, Axel (Thomas Priscoglio), un jeune danseur et comédien trentenaire, est subitement submergé par la mémoire de ce qu’il a subi durant son enfance à Reims, dans l’est de la France, une des villes où l’on a pu observer l’éclipse.

    C’est ce déclic qui bizarrement a fait ressurgir les souvenirs douloureux de la maltraitance, et l’a décidé à retourner voir la psychanalyste Cécile Sales (Bérangère Dautun). Commence alors une série de rendez-vous qui vont lui permettre de regarder la vérité en face et -petit à petit- de l’affronter et même de se reconstruire.

    Le plateau du Studio Hébertot a été transformé en cabinet de psychanalyse : plusieurs sièges dont l’incontournable divan, le bureau derrière lequel trône la praticienne, expérimentée, empathique et très attentive au récit fragmenté de son patient. Mais celui que le spectateur voit dès son entrée en salle, c’est le pantin assis en bord de scène, à quelques centimètres du premier rang. Le Bétin c’est lui. Il est l’incarnation à la fois du traumatisme et de la voix intérieure du personnage, que l’on entend à travers une voix off.

    Un bétin, en patois rémois, c’est un mot qui désigne un abruti ou un attardé mental. Tout sauf un compliment. C’est pourtant le mot qu’utilisait le père du petit garçon (Antoine Gatignol), quand il parlait de son fils. Un père dur, tyrannique, colérique et alcoolique qui brutalisait verbalement, psychologiquement et physiquement son fils. Le petit Axel, terrorisé par les cris, les menaces, les privations et les interdictions, a toujours refusé de l’appeler « Papa », malgré les demandes répétées de sa maman Marguerite (Maurine Dubus), une épouse fragile, immature et instable, d’une grande maladresse et capable elle aussi de moments de violence.

    Cette histoire douloureuse, l’auteur et metteur en scène Olivier Lusse Mourier ne l’a pas inventée : c’est la sienne. « Le Bétin » est le troisième volet d’une aventure commencée en 2021 avec la publication d’un livre éponyme aux éditions Maïa, bientôt suivie d’un court-métrage. La pièce est rigoureusement fidèle à ce qu’il a vécu. Elle raconte aussi comment sa fibre artistique (ses talents de dessinateur et de danseur notamment), étaient en lui depuis le plus jeune âge, et comment, à l’instar du rêve et de l’imagination, elle lui a permis de tenir et de s’exprimer. Le spectacle en fait foi : il est ponctué de moments oniriques et poétiques bienvenus, qui insuffle une bonne dose d’espoir aux victimes en quête de résilience.

    « Le Bétin », écrit et mise en scène d’Olivier Lusse Mourier, est à l’affiche du Studio Hébertot jusqu’au 1er juin.

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    20 m
  • Le génocide cambodgien, mémoire vive entre les tours
    Apr 20 2025

    50 ans après le début du génocide des Khmers Rouges, le Forum des Images projette le documentaire Tours d’exil de Jenny Teng qui met en lumière les souvenirs de la diaspora cambodgienne à Paris.

    « Qui se souvient du génocide cambodgien ? ». C’est le titre du cycle que propose le Forum des Images à Paris, du 15 avril au 4 mai, sous le parrainage du cinéaste Rithy Panh : 40 films pour ne pas oublier, 50 ans après l’entrée des Khmers Rouges dans Phnom Penh et le coup d’envoi d’un génocide qui allait faire entre un million et demi et deux millions de morts dans les années 1975-1979. Objectif de la révolution prolétarienne et agraire à la fois : déraciner les citadins et dissoudre aussi bien les familles que les traditions de toutes sortes (politiques, intellectuelles ou culturelles…), et mettre fin aux activités professionnelles d’avant la révolution.

    C’est ce souvenir que fait émerger la Jenny Teng dans son documentaire Tours d’exil (2009), à travers les témoignages de Pha, Ta Meng, So Savoeun et Boudha. Leur terre d’asile : les tours du XIIIe arrondissement de Paris, au cœur du quartier asiatique, où se sont installés de nombreux réfugiés sino-khmers dans les années 70-80. Une communauté que la réalisatrice Jenny Teng connaît bien : elle en fait partie, et a ainsi pu recueillir les confidences de ses proches, qui livrent des témoignages empreints des violences dont ils ont été victimes et témoins, et des douleurs de l’exil.

    Avec beaucoup de pudeur, Rum Pha, la mère de la cinéaste, raconte son arrivée en France, la promiscuité et la débrouille pour gagner sa vie, sur fond d’inquiétude pour la famille restée au pays, d’autant que les informations sont alarmantes, et que les annonces de nouveaux morts se succèdent.

    Ta Meng a du mal à cacher son émotion quand il raconte comment il a fui Phnom-Penh avec sa fille de 7 ans pour trouver refuge au Vietnam, ultime escale avant Paris.

    Boudha se souvient comment les Khmers Rouges étouffaient leurs victimes avec des sacs en plastique. Même à Paris, il garde un bâton sous son lit pour se défendre en cas d’attaque nocturne.

    Quant à la chanteuse So Savoeun, elle a transité par un camp de réfugiés thaïlandais avant de rejoindre la France et de partager son art avec les clients d’un restaurant au pied des tours.

    La caméra de Jenny Teng accompagne ces témoins dans la vie quotidienne du quartier, entre traditions cambodgiennes - notamment musicales et culinaires - et usages européens. Des appartements aux boutiques et restaurants, des sous-sols au parvis en passant par la salle de danse, c’est aussi tout un univers que l’on découvre, une petite Asie en pleine agglomération parisienne.

    Tours d’exil de Jenny Teng, est projeté le 22 avril 2025 au Forum des Images à Paris, en présence de la réalisatrice. Également annoncés : le réalisateur Nara Keo Kosal pour son film Héritages en images, la chercheuse Hélène Le Bail et les artistes Rotha Moeng et Randal Douc.

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    20 m
  • Jésus aux enfers
    Apr 19 2025

    Dans son album Jésus aux enfers (Soleil), Thierry Robin raconte ce que les Évangiles de la tradition chrétienne ne racontent pas : les trois jours que le Christ a passé aux enfers, entre sa mort sur la croix et la résurrection.

    Chaque dimanche à la messe, les chrétiens proclament leur foi dans la résurrection du Christ. L’un des textes du Credo, le Symbole des Apôtres, précise que Jésus « est descendu aux enfers ». Pourtant, les quatre évangiles canoniques ne disent rien de ces trois jours qui séparent la crucifixion de la résurrection.

    C’est dans cet interstice que s’est engouffré Thierry Robin, suite à la découverte de l’Évangile de Nicodème, un texte apocryphe écrit en grec qui date du IIe siècle, qui relate le procès de Jésus face au préfet romain de Judée Ponce Pilate, mais aussi la chronique de la descente de Jésus aux enfers. Un texte que, dans la préface de l’album, Thierry Robin décrit comme « saisissant, imaginatif (avec) plein d’éléments appartenant au domaine du fantastique, et somme toute très cohérent avec les textes du Nouveau Testament ».

    C’est ainsi que le scénariste et dessinateur, habitué des grandes fresques historiques (La Mort de Staline, Mort au Tsar, Pierre rouge, Plume noire chez Dargaud), s’est lancé dans la mise en scène de ce récit, qui fait écho à nombre d’épisodes et de personnages de la Bible. Un récit graphique haletant avec une iconographie inspirée à la fois des arts du Moyen-Age et de la Renaissance, mais aussi de références extra-européennes, mêlées à des univers fantastiques, voire de science-fiction. Un mélange baroque qui fonctionne à merveille.

    À son arrivée dans le Shéol, le séjour des morts, il rencontre Abraham, Moïse, Noé, Jean Le Baptiste et nombre d’autres défunts que les lecteurs des livres saints connaissent bien. Des moments savoureux qui feront sourire les initiés, et permettront aux autres d’apprendre en s’amusant, et en lisant au passage quelques extraits savamment choisis des textes sacrés. La rencontre du fils de Dieu et des Damnés vaut aussi le détour : le temps d’une séquence, l’album bascule alors dans une gamme chromatique complètement différente.

    Mais c’est le face à face avec Satan qui marque sans doute le plus le lecteur. Comme il le dit lui-même, il a beaucoup de visages, et le dessinateur n’hésite pas à le représenter sous des formes plus ou moins effrayantes. Mais c’est sous une apparence anthropomorphe inspirée du film d’Ingmar Bergman Le septième sceau (1957) que le démon apparait tout d’abord à Jésus, représenté pour sa part de façon assez classique, avec barbe, cheveux sur les épaules et vêtement blanc. Dans le cours du récit, les deux personnages évoquent leurs souvenirs terrestres, et se livrent à un pas de deux aigre-doux. Les dialogues sont ciselés, le temps d’un duel verbal dont le Christ sortira bien évidemment vainqueur.

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    20 m
  • L’icône des Femen à l’assaut de la toile
    Apr 13 2025

    Dans Oxana (sortie le 16 avril 2025), Charlène Favier raconte la naissance du mouvement Femen à travers le combat pour la liberté, la démocratie et le féminisme d’une jeune Ukrainienne, incarnée par Albina Korzh. Un film librement inspiré d’une histoire vraie.

    C’est un destin exceptionnel que nous conte Charlène Favier dans son nouveau film. Comme le précédent, son premier long-métrage Slalom, Oxana est le portrait d’une femme, une combattante, à la fois fragile et forte. Cette fois, l’héroïne se prénomme comme Oxana Chatchko, peintre ukrainienne qui a cofondé à Kiev (Ukraine) en 2008 le mouvement féministe Femen, aux côtés d’Oleksandra Chevtchenko et d’Anna Hutsol. Le film est librement adapté de sa vie, aussi bien artistique que militante.

    Peintre, Oxana l’est depuis son adolescence à Khmelnytskyi, dans l’ouest de l’Ukraine. Sa spécialité : les icônes, que lui commande un pope pour le compte des fidèles de sa communauté orthodoxe. Un talent qu’elle va faire prospérer quelques années plus tard à Paris, où elle devient étudiante aux Beaux-Arts. À la veille du vernissage de sa première exposition dans une galerie de la capitale française, elle se définit devant une journaliste comme « réfugiée politique, artiste, activiste, sextrémiste ».

    Le film fait des allers-retours entre l’Ukraine et Paris, et entre ces deux époques. Il raconte l’éveil de la jeune femme aux combats militants : son aspiration à la liberté, notamment celle des femmes ; son hostilité à la prostitution, à la corruption et à la dictature en Ukraine, en Russie ou en Biélorussie, ou à la mainmise de la religion dans la société. Petit à petit, avec ses amies Lada et Anna, Oxana organise des réunions et des manifestations pour porter ces revendications.

    Le groupe gagne en médiatisation et en influence lorsque les jeunes femmes se rendent compte qu’en manifestant seins nus, avec des slogans écrits sur la poitrine, elles font scandale et concentrent donc l’attention des médias et du public, par vidéos interposées. « Nos seins, ce sont nos armes », explique Oxana à ses camarades.

    Leur influence essaime alors dans plusieurs pays européens, et notamment la France, où Inna Chevtchenko devient rapidement une figure médiatique aussi populaire que controversée. Le film montre ainsi que les chemins d’Inna et d’Oxana se sont vite séparés, les deux jeunes femmes ayant des visées tactiques différentes.

    C’est l’actrice ukrainienne Albina Korzh qui incarne Oxana devant la caméra. Charlène Favier sublime la jeune femme, à travers une esthétique léchée et picturale, pas très éloignée au fond de la peinture d’icônes pratiquée par le personnage. Dans son regard, on lit tour à tour les affres de l’amour, ses espoirs, sa colère et sa détermination farouche, mais aussi sa mélancolie, ses souffrances et sa détresse.

    Le film devait être tourné en Ukraine, l’invasion russe en a décidé autrement. Il a fallu se replier en Hongrie. Mais les comédiennes ukrainiennes ont donc tourné dans un contexte bien particulier. Avec en tête un autre combat.

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    19 m
  • Elvis Presley, l’ange et le prophète
    Apr 12 2025

    Dans Le King et le Prophète, la romancière Héloïse Guay de Bellissen se glisse dans la tête de son jumeau mort-né et raconte Elvis Presley à l’aune de sa passion pour le best-seller de Khalil Gibran.

    Depuis son premier single à succès, Heartbreak Hotel en 1956, Elvis Presley s’est installé au premier rang des stars mondiales de la musique. La puissance de sa voix, son charisme inouï et sa présence sur scène inégalée – avec ses fameux mouvements de hanche aussi sensuels que caractéristiques – sont entrés dans la légende. Qui aujourd’hui encore ne connaît pas un des tubes iconiques de cet artiste qui n’a écrit aucune de ses 600 chansons, mais qui s’est révélé un interprète hors pair ?

    Ce que l’on sait moins, c’est que ce garçon issu d’un milieu modeste était aussi le lecteur insatiable d’un livre qui le marquera à vie : Le Prophète, le best-seller mondial de Khalil Gibran, un ouvrage devenu un véritable vade-mecum pour le chanteur de rock’n’roll, comme d’ailleurs dans les années 60 pour de nombreux hippies. Une passion livresque qui l’a conduit à acheter plusieurs centaines d’exemplaires de l’ouvrage pour les offrir à son entourage, non sans les avoir annotés ou en avoir souligné les passages qui lui semblaient les plus marquants.

    C’est cette rencontre entre musique et littérature qui a donné envie à la romancière Héloïse Guay de Bellissen d’écrire cette biographie originale d’Elvis Presley, logiquement intitulée Le King et le Prophète. Chaque chapitre du livre s’ouvre ainsi par un passage du roman de Khalil Gibran souligné par la star, ou par une « marginalia », c’est-à-dire une note écrite dans la marge, qui reflète la sagesse du poète libano-américain, mais aussi de son disciple à la banane enduite de gomina.

    Autre originalité du roman et qui en fait tout le sel : le narrateur. L’autrice a choisi de faire parler Jesse Garon Presley, le frère jumeau d’Elvis, né lui aussi le 8 janvier 1935 à Tupelo (Mississipi), et mort quelques heures après. Un ange gardien qui, depuis l’au-delà, regarde sa « gueule d’ange » de frère d’un œil à la fois affectueux et ironique. C’est donc lui qui raconte les « premières fois » d’Elvis : son premier disque – sous la houlette du producteur de Sun Records Sam Phillips – ; son premier jour à l’armée, sa première fille, sa première trahison… Et bien évidemment, la rencontre avec la future mère de son enfant, quand le héros est sous les drapeaux en 1959 : à l’époque, le jeune homme n’a que 24 ans, mais il est déjà une star internationale ; la jeune Priscilla n’en a que 14. Le style se fait tendre quand il rend hommage à leur mère, ou nettement plus critique quand il évoque le « Colonel » Parker, controversé imprésario de la star, son éternel cigare à la bouche.

    Un roman à lire en écoutant – ou en réécoutant – les plus grands succès du King.

    Le King et le Prophète, d’Héloïse Guay de Bellissen, est publié aux éditions Rivages.

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    20 m
  • «Les petits chevaux», enquête sur la fabrique de «purs-sangs» aryens
    Apr 6 2025

    Au Théâtre des Gémeaux parisiens jusqu’au 22 avril 2025, la pièce « Les petits chevaux, une histoire d’enfants des Lebensborn », raconte les maternités vouées par les nazis à la prolifération de la soi-disant « race pure ».

    Lebensborn. Quand le mot s’affiche sur le traducteur électronique de Violette et de sa mère Hortense, elles ignorent ce qu’il signifie. En partant à la recherche des origines d’Hortense, adoptée en 1947 alors qu’elle était encore bébé, les deux femmes étaient loin de se douter de ce qu’elles allaient découvrir : elles sont issues d’un système abominable, celui de la barbarie eugéniste nazie.

    Le mot « Lebensborn » signifie littéralement « fontaine de vie ». Sous le IIIè Reich, ces maternités réservées aux femmes prétendument de « race pure » -c’est-à-dire aryennes- ont été mises en place dès 1935 par le chef de la SS en personne, Heinrich Himmler. En Allemagne et dans l’Autriche annexée, mais aussi dans plusieurs autres pays européens : la Norvège, la Pologne, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France.

    Le Lebensborn installé en France occupée était établi à Lamorlaye (Oise). Il a fonctionné de février à août 1944. La pièce nous fait pénétrer à l’intérieur. On y voit une infirmière examiner une femme enceinte, mesurer son crâne, son nez, son ventre, vérifier la couleur de ses yeux avec un nuancier. On assiste aussi à une visite d’inspection du médecin-en chef.

    Cette scène est sans doute l’une des plus marquantes de ce spectacle qui associe dialogues didactiques et moments d’émotion, avec quelques traits d’humour et d’ironie, utiles respirations dans un texte fort, avec une scénographie d’une grande sobriété et pour seul décor des caisses en carton.

    La pièce est née d’une révélation qui a interloqué les artistes de la compagnie pARTage : un des membres, Matthieu Niango, également d’ascendance ivoirienne, a découvert qu’il était un enfant des Lebensborn, puisque sa mère Gisèle est née dans le Lebensborn de Wégimont, en Belgique. Son histoire est l’un des matériaux qui a nourri l’écriture du spectacle, un travail choral également abondé par d’autres témoignages et des travaux d’historiens. Matthieu Niango en est l’un des coauteurs.

    Aujourd’hui, les enfants des Lebensborn ont grandi. Ils n’ont eux-mêmes aucun souvenir de leur passage, car ils n’y ont passé que les toutes premières semaines de leur existence. Quand ils ont appris la vérité, c’est souvent un sentiment de honte qui les a submergés. Ce sont pourtant bien des victimes. Ils n’ont pas choisi leur naissance. Ils doivent pourtant l’assumer.

    « Les petits chevaux, une histoire d’enfants des Lebensborn » est à l’affiche du Théâtre des Gémeaux parisiens jusqu’au 22 avril, et du Festival théâtral de Coye-la-Forêt le 20 mai 2025.

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    20 m
  • Nicolas Juncker met son grain de sel sur les plaies de la guerre d’Algérie
    Apr 5 2025

    Dans son album Trous de Mémoires (Le Lombard), le scénariste et dessinateur de bande dessinée Nicolas Juncker raconte avec humour les cicatrices creusées par la guerre d’Algérie dans la société française.

    Maquerol, petite commune (fictive) de Provence, dans le sud de la France. C’est là que vient de mourir un grand nom de la photographie de presse, dont les clichés ont fait connaître au monde entier la guerre d’Algérie (1954-1962). Pour rendre hommage à cet enfant de la Méditerranée, lui-même né en Algérie, le ministre français de la Culture et le maire de la ville annoncent un acte fort : ériger un musée-mémorial dédié à la guerre et aux victimes.

    Plusieurs personnages vont s’affronter autour de ce projet particulièrement audacieux : le maire, politicien ambitieux aux nerfs fragiles qui veut satisfaire l’ensemble de ses électeurs (qu’ils soient pieds-noirs, harkis, anciens soldats français ou issus de l’immigration algérienne) ; une historienne pimpante et rigoureuse, qui veut « juxtaposer TOUTES les mémoires » et qui n’entend pas transiger avec la vérité historique ; la veuve du photographe qui entend préserver l’œuvre, mais aussi la maison de son défunt mari ; et un plasticien célèbre, grande gueule, visionnaire et imbu de lui-même, qui veut au contraire « tout casser » et « faire des trous ».

    Très vite, les tags hostiles maculent les murs du musée et les rapatriés manifestent. Quant aux témoignages, ils se révèlent bien plus difficiles à récolter que prévu…

    Avec ses personnages hauts en couleurs et son dessin expressif à l’extrême, Nicolas Juncker raconte, avec son humour habituel et son souci de véracité historique, à quel point il est difficile encore aujourd’hui en France, de croiser et de réconcilier les mémoires quand on évoque la guerre d’Algérie. Un album qui fait écho aux polémiques actuelles entre Paris et Alger, sur fond d’OQTF et d’emprisonnement de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal.

    Habitué des récits historiques, l’auteur a aussi scénarisé un autre album remarqué sur cette thématique, Un général, des généraux avec les dessins de François Boucq (éditions du Lombard, février 2022). Sous couvert d’humour, cet ouvrage incite aussi les lecteurs à s’interroger sur son rapport à l’Histoire, au récit -voire au roman- historique, et à la mémoire, y compris quand les plaies sont encore à vif.

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