Notre série sur les ports du monde nous emmène aujourd’hui au Kenya, dans la ville côtière de Lamu. Capitale de la culture swahilie, ce petit port historique de l’Océan Indien, classé au patrimoine de l’Unesco, a été choisi pour accueillir un gigantesque port en eau profonde, censé devenir à terme le plus grand terminal portuaire de l’Afrique de l’Est. Et ce n’est pas sans conséquences écologiques ni sans susciter des remous.
De notre envoyée spéciale à Lamu,
Lamu, ses bateaux de pêche traditionnels, ses maisons en roche de corail avec leurs portes en bois sculpté et ses ruelles étroites où seuls les ânes permettent de circuler... Un joyau de la culture swahilie, autrefois carrefour commercial de l’Océan Indien. « C’est peut-être l'une des villes les mieux préservées d'Afrique de l'Est. Si vous voulez avoir un aperçu de ce qu’était une ville swahilie au XVIIᵉ siècle, vous pouvez vivre ça à Lamu, encore aujourd’hui, estime Mohamed Ali Mwenje, qui y est conservateur. Vous pouvez observer ici deux siècles d’urbanisme et de modes de vies traditionnels. Et c'est ce qui rend Lamu unique par rapport aux autres lieux de peuplement swahili. »
Les pêcheurs contre le port en eaux profondesCe patrimoine, certains le jugent aujourd’hui menacé par le gigantesque port en eaux profondes qui a commencé son activité l’an dernier, à quelques kilomètres au nord du Lamu historique. « Ce port est unique du fait de sa très grande profondeur : 17,5 mètres. Il peut donc accueillir des navires plus grands et qui ne peuvent pas accoster au port de Mombasa. Ça en fait un excellent port de transbordements, unique sur cette côte », explique Salim Bunu, coordonnateur régional du projet.
Actuellement, seule la première phase de ce projet est terminée. Selon ses promoteurs, il est censé, à terme, relier le Kenya à ses voisins pour désenclaver la côte, longtemps marginalisée, et faciliter le commerce interafricain. Mais son arrivée a suscité une fronde de la part des pêcheurs traditionnels, qui font partie intégrante de l’héritage culturel de Lamu.
Bwanaus Chale est l'un de ces pêcheurs. Il se plaint que le port et ses trois postes d’accostage, construits sur ce qui était l’océan, grignote un espace de pêche qui était particulièrement prisé : « Pendant les grandes marées, la haute mer est très agitée, donc c’est ce de côté-là que l’on peut pêcher en sécurité. En plus, ici, même pendant la basse saison, on pouvait arriver à trouver beaucoup de poissons. C’était le meilleur endroit, mais maintenant l’accès est restreint. Je suis venu aujourd’hui. Mais je sais qu’à tout moment, la marine peut venir me causer des soucis. »
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Sur une île voisine, Aboubakar répare ses filets, mais depuis quinze jours, la pêche n’est pas fructueuse, faute d’accès au port. Il ne lui reste que la haute mer comme alternative, impraticable ces temps-ci. « On trouve peu de poissons actuellement, car la haute mer est très agitée, donc on est obligé de pêcher en eaux peu profondes, sinon c’est dangereux », explique-t-il.
En 2018, une décision de justice a reconnu le préjudice pour des milliers de pêcheurs et décidé de compensations financières, mais elles n’ont pas encore été versées. Mohamed Atman a mené le combat pour le groupe de travail pour la conservation de Lamu. « À première vue, ce port est une bonne chose qui peut aider considérablement l’économie locale. Mais le problème, c'est la façon dont cela a été fait. Les communautés n'ont jamais été impliquées, déplore-t-il. Nous nous sentons écartés et nous ne voyons pas les bénéfices qu’on nous a promis. Ce que l’on voit, c'est l'impact actuel de ce méga-projet sur la détérioration de la biodiversité marine, sur la quantité de ressources qui auraient pu être utiles aux pêcheurs, sur la quantité de mangrove qui aurait pu être récoltée. »
Depuis le début de l’année, une autre menace suscite l’inquiétude à Lamu : l’annonce de la reprise des explorations pétrolières dans la baie.
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