Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, est en pleine transformation. Cheval de bataille du Premier ministre Abiy Ahmed, le projet de ré-urbanisation comprend l'élargissement des rues et la modernisation de l’espace public. Des lieux et des quartiers historiques emblématiques disparaissent, comme l'ancien quartier touristique de Piazza, construit au début du XXe siècle et rayé de la carte. Aujourd’hui, c'est le cas du Fendika, centre cosmopolite, multiculturel, de renommée internationale, qui a disparu sous les bulldozers.
De notre correspondante à Addis-Abeba,
Le Fendika est bondé pour le dernier concert, la dernière soirée avant la destruction. Dans la salle bas de plafond à la lumière chaleureuse, les murs sont recouverts d'objets d'arts et d'instruments de musique provenant du monde entier. Comme une caverne pleine de trésors. L'atmosphère est joyeuse, mais au fond, les cœurs sont tristes, comme Méki, un habitué du lieu :
« J'imagine que tout a une fin, mais là, j'ai vraiment l'impression que c'est la fin d'une époque. Le Fendika a été le centre de la culture d'Addis-Abeba, une grande partie de la culture urbaine que nous voyons à Addis a commencé ici. Je pense que cette ambiance et cette culture spécifiques, cette diversité et cette convivialité prendront du temps à se reconstruire. »
Le Fendika, situé dans le quartier de Kazanchis, en grande partie détruit, va faire place à de grands boulevards bordés d'immeubles modernes. Pour Gelane, la réurbanisation est trop brutale : « Je comprends la nécessité d'innover. Mais il y a de meilleures façons de le faire. C'est la même chose pour Piazza. Je comprends que certaines parties devaient disparaître, mais en démolissant sans stratégie, sans plan, nous avons perdu toute une partie de notre histoire que nous ne pourrons jamais récupérer. Et lorsque cette génération mourra, il ne restera plus que des contes à raconter. »
Plus qu'un tas de gravatsDeux jours plus tard, Melaku Belay, fondateur du Fendika et danseur célèbre, se tient entouré de quelques employés sur un tas de gravats. C'est tout ce qui reste du lieu historique. « Je n'y croyais pas jusqu'à hier. Le camion est venu pour détruire Fendika. Ils m'ont même demandé si je voulais le détruire moi-même. Je leur ai dit qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, mais que je n'y toucherais pas. C'est comme mon enfant, alors j'ai juste regardé. »
Sur les 43 employés, 17 vivaient dans le centre culturel. Comme de nombreux habitants de la zone, ils se retrouvent sans toit. Melaku cherche un endroit pour les loger en attendant. Et préfère penser à l'avenir :
« Le Fendika me rend fier. Ce que j'ai fait, c'était visionnaire. Pour les gens, les étrangers, pour la liberté de l'art, pour la créativité, je l'ai fait et j'en suis fier. Je suis aussi très heureux que le gouvernement a accepté de me donner le même emplacement. J'espère qu'il me prêtera de l'argent et qu'on travaillera ensemble. Sinon, je cherche des investisseurs et collecte de l'argent. »
Pour rentrer dans les nouveaux standards, il faut construire un immeuble d'au moins 20 étages. Pour un tel projet, Melaku a d'abord besoin de 1,15 millions d'euros pour obtenir un permis de construire. L'idée : reconstruire le centre multi-culturel du Fendika sur plusieurs niveaux, avec d'autres activités commerciales pour financer la partie artistique et rembourser les investisseurs.