Chaque année, entre mai et septembre, la plage d'Alagadi sur la côte nord de Chypre accueille des centaines de tortues caouannes qui viennent pondre leurs œufs. Ces reptiles marins migrateurs font partie des animaux les plus vulnérables face au changement climatique. Mais une équipe de scientifiques britanniques et chypriotes a fait une découverte étonnante : les tortues caouannes s'adaptent au réchauffement planétaire.
C'est le résultat d'une étude, menée pendant 31 ans : depuis 1993, les chercheurs ont marqué des tortues avec des balises placées sur leurs nageoires. Ils ont enregistré la date de leurs nidifications, le nombre d'œufs pondus, ainsi que l’évolution de la température de la surface de la mer et surtout de la température dans le nid creusé sur la plage. Conclusion : plus la température dans le sable augmente, plus les tortues pondent tôt. La nidification avance ainsi de 6,47 jours par degré supplémentaire franchi, et ceci pour une raison tout à fait existentielle.
Le sexe des nouveau-nés déterminé par la température du nid« Le sexe des nouveau-nés des tortures de mer est déterminé par la température qui règne dans le nid », explique Annette Broderick, co-auteur de l'étude et chercheuse à l'université d'Exeter en Grande-Bretagne.« Plus la température est élevée, plus il y aura des femelles. Si les tortues ne changeaient rien à leurs habitudes, l'espèce serait vouée à disparaître par manque de mâles. Mais nous avons pu constater que les tortues pondent de plus en plus tôt chaque année pour que le nid ait la bonne température. Ainsi, le changement climatique n'affecte pas la proportion mâles-femelles. C'est une bonne nouvelle qu'elles soient capables de s'adapter ».
Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une adaptation évolutive, qui supposerait une variation génétique de génération à génération - et dans le cas des tortues caouannes, cela prendra trop de temps puisque ces reptiles n’acquirent la maturité sexuelle qu’à partir de l’âge de 30 ans - mais bien d'une réaction individuelle de chaque tortue au réchauffement climatique.
La capacité de l’adaptation des tortues à des limitesPourtant, la capacité d’adaptation des tortues caouannes a des limites. Car si ces reptiles marins se décalent leur saison de nidification pour garantir leur reproduction, d’autres organismes, dont dépendent la survie des tortues, ne se décalent pas. Les scientifiques appellent ce phénomène « décalage phénologique ».
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Pour pondre sur la plage d'Alagadi à Chypre, les tortues caouannes doivent nager plusieurs centaines de kilomètres depuis les côtes d'Afrique du Nord. Mais les crabes et autres mollusques, dont se nourrissent les tortues caouannes, se font encore rares au moment du départ de plus en plus anticipé des tortues. Or seules les femelles bien nourries survivent au voyage éprouvant.
Et puis à l'avenir, la hausse du niveau de la mer, liée au changement climatique, détruira les zones de nidification des tortues, de nombreuses plages disparaîtront sous les eaux.
Les bébés tortues confrontées à la pollution plastiqueAprès leur éclosion sur la plage, les bébés tortues, une fois arrivés dans l’eau, sont portés par les courants marins. « Elles sont omnivores et mangent tout ce qu’elles croisent sur leur chemin », raconte Annette Broderick. « La plus grande menace pour les bébés tortues de mer est la pollution plastique. Parce qu'elles avalent des morceaux de plastique en pensant qu'il s'agit de nourriture ».
La tortue caouanne est aujourd'hui une espèce menacée. Pour la protéger des solutions existent : outre la lutte contre le réchauffement climatique, il s’agit de réduire l'utilisation du plastique, d’adopter des filets de pêche sélectifs pour réduire les prises accidentelles, d’instaurer des aires marines protégées et de préserver les sites de nidification, comme la plage d'Alagadi, à Chypre.