• La semaine de

  • By: RFI
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  • Jean-Baptiste Placca, chroniqueur au quotidien La Croix et fondateur de L’Autre Afrique livre sa vision sur l’actualité africaine de la semaine écoulée. Entre analyse, réflexion et mise en contexte, cette chronique est l’occasion de donner du sens et de prendre du recul sur les événements de la semaine, mais également de revenir sur des sujets parfois traités trop rapidement dans le flot d’une actualité intense. Présentation : Jean-Baptiste Placca.

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Episodes
  • Continuer à tenir bon
    Nov 5 2022

    « Tiens bon ! » aimait-il répéter aux plus jeunes, comme pour rassurer quant à l'issue heureuse de la lutte que mènent les peuples africains pour améliorer leur destin. Jean-Pierre Ndiaye n'est plus. Mais, plus que jamais, cette « certitude d’espérance » doit être entretenue.

    Depuis l’annonce de sa disparition, ce 1er novembre 2022, c’est un torrent d’hommages qui salue la mémoire du Sénégalais Jean-Pierre Ndiaye. Qui était donc cet intellectuel, qui semble faire l’unanimité des éloges ? A-t-il réellement marqué des dizaines de millions d’Africains, depuis les années 1960 ?

    Jean-Pierre Ndiaye était, en effet, un esprit vif. Une belle plume. Belle et surtout puissante, qui transmettait des vibrations propres à vous ébranler, à vous stimuler. Sociologue, devenu célèbre par les textes qu’il signait dans Jeune Afrique, il ne se complaisait guère dans la vanité des titres. Il avait cette liberté de ton propre à ceux qui ne recherchent rien pour eux-mêmes, n’attendent rien de personne, et peuvent donc s’offrir le luxe de déplaire.

    Là où tant d’intellectuels africains, au nom de leur carrière et de leur réussite sociale, finissent par se perdre dans des concessions affligeantes, ou même dans des compromissions, Jean-Pierre Ndiaye vivait en harmonie avec ses convictions. Il était d’une intégrité qui confinait à l’oubli de soi. De cette liberté, il a payé le prix, jusqu’au bout ! Pour s’offrir un tel luxe, il avait, à ses côtés, une dame d’une sérénité immuable, enseignante, compagne d’une vie consacrée à veiller sur le destin de l’Afrique : Madeleine, « sa » Mady !

    En quoi pouvait donc consister, concrètement, cette vie consacrée à veiller sur le destin de l’Afrique ?

    Il proposait, sur les questions essentielles qui interpelaient l’Afrique, une réflexion incisive. Il n’est pas un défi à relever par les peuples africains, sur lequel Jean-Pierre Ndiaye n’ait réfléchi ou écrit. Il se préoccupait tout particulièrement du destin de l’homme noir, d’où qu’il vienne, où qu’il vive. Lorsqu’en 1973, il interpelle Léopold Sédar Senghor, c’est d’abord sur la nécessité d’un soutien à la minorité noire du Sud-Soudan, « méconnue de l’intelligentsia et de l’opinion africaine », disait-il. Des échanges épistolaires à la fois tranchants et feutrés, dont Senghor ne s’offusquera guère. Mieux, il invite son jeune compatriote à l’accompagner dans nombre de ses voyages, notamment dans des sommets panafricains, pour que Jean-Pierre Ndiaye constate par lui-même les efforts des dirigeants pour résoudre les crises sur lesquelles lui les jugeait défaillants.

    Né au Sénégal, il a grandi en Guinée, mais, c’est en passager clandestin qu’il arrive à Bordeaux, en 1952, sur un bateau chargé de tirailleurs sénégalais à destination de l’Indochine. Jean-Pierre Ndiaye échoue dans un milieu d’enseignants, républicains « exilés » de la guerre d’Espagne, qui lui inoculent la passion de la politique. Puis il s’inscrit en sociologie, et suit assidument les cours du père dominicain Louis-Joseph Lebret, économiste.

    Sa vie, dit-on, a été faite de belles rencontres. Quelques exemples ?

    Alioune Diop, le fondateur des éditions Présence africaine, le nourrit de ses conseils. La vocation de Jean-Pierre Ndiaye est claire : penser l’Afrique. Il fonde donc le Bureau d’études des réalités africaines (Béra), qui publie la toute première enquête sur les étudiants noirs en France. En 1963, il est invité à donner quelques cours dans deux prestigieuses universités américaines : Georgetown, fondée par les jésuites, à Washington D.C., et UCLA (Unià Los Angeles). Il est accueilli par l’immense Dizzy Gillespie, va à Harlem rencontrer Malcom X. En France, il fréquente l’intelligentsia de gauche, dont un certain Jean-Paul Sartre.

    De ces très belles rencontres, ses lecteurs ont eu leur part. À ceux qui n’ont pas eu cette chance, il reste Afrique, passion et résistance, un ouvrage à l’initiative de sa fille, Shuana, qui rassemble l’essentiel de ses meilleurs textes. En plongeant dans ces quelque 530 pages, l’on se demande parfois si ce n’est pas par choix que tant de peuples croupissent encore dans le sous-développement, préférant se mentir, à coups de slogans ronflants sur l’émergence.

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  • Dadis Camara et «son» honneur
    Oct 29 2022

    Lorsqu'un ex-putschiste se soucie davantage des égards qu'il estime dus à son rang qu'aux souffrances infligées aux Guinéennes et aux Guinéens.

    Un mois après l’ouverture du procès sur les massacres du 28 Septembre 2009, les Guinéens ont eu droit, cette semaine, à quelques bouts de vérité, de la part de l’aide de camp du capitaine Dadis Camara, à l’époque. Cette brèche dans la stratégie de dénégation convenue par les accusés n’indique-t-elle pas que ce procès va peut-être enfin s’engager vers un peu plus de sincérité ?

    Jusque-là, les accusés narguaient les victimes avec leurs non réponses. Et « Toumba » Diakité s’est un peu oublié, en effet. Mais, il semble avoir déjà repris ses esprits. Comme si tous étaient persuadés qu’à force de se taire en chœur, ils finiraient par convaincre la cour de se ranger à leur logique, pour conclure qu’il n’y a eu, finalement, rien de très grave, ce jour-là, dans le stade et tout autour. Et pourtant ! 157 morts, des centaines de blessés, sans compter ces femmes traquées, violentées et violées en nombre. La justice est une nécessité. Il reste à espérer qu’elle se donnera le temps de ne pas bâcler ce procès. Ce serait un tel désastre, pour la Guinée, si tout cela devait ne consister qu’à calmer les victimes, pour réhabiliter quelque accusé à ne pas mécontenter, sous prétexte qu’il pèserait d’un poids ethnique, politique ou autre.

    Dadis Camara a prévenu qu’il était là pour laver son honneur. Il doit donc, lui aussi, désirer la vérité…

    Mais, au-delà du verdict de cette cour, il y a, ce que l’on appelle la responsabilité. En politique, cela s’assume. C’est le chemin de l’honneur. Les faits, ici, c’est d’abord le contexte et l’objet de ce rassemblement. À la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, Dadis Camara s’est emparé du pouvoir. Un coup d’État contre un mort. Tout heureux d’avoir ainsi vaincu sans péril, il s’exhibe quotidiennement dans le clinquant de sa condition inespérée de nouveau roi. L’opinion africaine s’amusait alors de ce qu’elle décrivait comme « le Dadis Show ». Pas vraiment fiers du sort si cruel qui s’acharnait ainsi sur leur pays, les Guinéens étaient dans leurs petits souliers.

    Mais, lorsque Dadis a laissé entendre qu’il pourrait bien se porter candidat à la présidence de la République, opposition, société civile, citoyens ordinaires se sont levés pour contrarier son projet. Ils se donnent rendez-vous le 28 septembre, date anniversaire du fameux « non » de Sékou Touré au général de Gaulle.

    Pour éviter toute surprise, ils avaient choisi un lieu clos, au lieu des artères de Conakry. Mais, ils ne risquaient pas moins de compromettre les visées du capitaine. On a donc envoyé des soldats sans scrupules les traquer dans le stade. Et cette responsabilité, personne n’a le courage de l’endosser.

    Mépriser de la sorte les morts, les femmes et les blessés, tout en exigeant d’être traité comme un ancien chef d’État n'inspire pas le respect.

    Après tout, n’est-il pas tout de même un ancien chef d’État ?

    Vous voyez à quel point il a fallu que la notion même de chef d’État soit dévoyée, dans cette Afrique, pour que chaque personne qui s’empare du pouvoir, revendique, avec autant d’aplomb, un traitement d’ancien chef d’État, surtout là où les Guinéens attendent juste un peu d’égard pour toute la violence subie, pour leurs morts, leurs mères, sœurs ou épouses violées ?

    En plus, ces héros manquaient terriblement de courage. Car, lorsqu’il a été suggéré que ce massacre pouvait être assimilé à un crime contre l’humanité, Dadis a cherché à l’imputer à son aide de camp. Comme l'empereur romain qui, sentant la foule romaine fondre sur son palais, demande à Tigellin, son bourreau à tout faire, d’aller avouer au peuple que c’est lui qui a mis le feu à Rome. Dadis se faisant insistant, « Toumba » Diakité a tenté de lui brûler la cervelle. Il a manifestement eu plus de chance que ses compatriotes tombés ce funeste 28 septembre.

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  • Piégés par les fourmis magnans
    Jun 18 2022

    On sait quand débute l’insécurité terroriste, mais nul ne peut en prévoir la fin. Et il faut, juste, une réelle confiance en soi pour prétendre circonscrire ce fléau à une échéance prévisible.

    À Seytenga, le bilan est lourd : 86 civils massacrés par des jihadistes, qui avaient pris leur temps, pour parachever l’horreur qui a plongé le Burkina Faso dans la perplexité. Qu’adviendra-t-il de la junte, si ces terroristes continuaient de massacrer ainsi, étant donné que c’est pour en finir avec ces massacres à répétition que les militaires avaient, en janvier dernier, renversé le président Roch Marc Christian Kaboré ?

    À l’évidence, il était présomptueux, de la part de cette junte, de justifier son putsch par ce qu’elle considérait comme l’incapacité du président Kaboré à protéger les populations contre la violence des jihadistes. Le lieutenant-colonel Sandaogo Damiba pensait pouvoir faire mieux. Mais, au rythme auquel vont les tueries, des questions gênantes vont se poser à lui. À quoi sert-il de mettre un coup d’arrêt à la vie démocratique de la nation, pour passer le plus clair de son temps à constater les massacres, comme celui qu’il a chassé du pouvoir ?

    Un auditeur de RFI s’est même offusqué, cette semaine, de ce que ces officiers n’en finiraient pas de se partager les postes juteux à Ouagadougou. Si c’était vrai, comme ce serait désespérant !

    Il existe, dans cette partie de l’Afrique, une espèce de fourmis, dites légionnaires, que l’on appelle aussi fourmis magnans. Lorsqu’elles envahissent votre maison, votre capacité de riposte est amoindrie. Même lorsque vous croyez vous en être débarrassé, il en surgit encore, des coins et recoins, qui vous piquent, et cela fait très mal. Le terrorisme auquel est confronté le Burkina, comme, du reste, le Mali et le Niger, est comme les fourmis magnans ! Quand elles sont dans la demeure, il faut de la patience, de la rigueur et de la persévérance, pour venir à bout.

    Il n’empêche que c’est sous Roch Marc Christian Kaboré que ce terrorisme s’est installé au Burkina, vous en convenez ?

    Qui donc a « convié » les jihadistes au Burkina ? Kaboré a été élu président le 29 décembre 2015. Le colonel Isaac Zida, « numéro deux » du RSP (la garde présidentielle de Blaise Compaoré) et miraculeusement Premier ministre du Faso depuis la chute de son patron, quitte ses fonctions, le 6 janvier 2016. Neuf jours plus tard, le 15 janvier, trois attentats violents frappent, en plein centre de Ouagadougou, dont Le Cappuccino, et l’hôtel Splendid. Ce dispositif terroriste avait forcément été mis en place bien avant l’élection de Kaboré. D’ailleurs, on apprendra que certains jihadistes avaient table ouverte à Ouaga 2000 depuis des années.

    À ceux qui s’étaient étonnés de voir à la tête du gouvernement né de l’insurrection le « numéro deux » de la garde du président déchu, les stratèges de l’insurrection expliqueront que c’était le seul moyen de s’assurer que d’autres militaires ne songent à déstabiliser cette transition. Peut-être qu’à force de surveiller ses propres camarades militaires, Zida a oublié de protéger le pays contre la menace jihadiste, pour léguer aux civils un Burkina des plus vulnérables, et déjà gangrené par les fourmis magnans.

    Le président Kaboré n’aurait-il donc aucune responsabilité dans l’aggravation du mal ?

    Si ! Forcément, puisqu’il a passé six années au pouvoir. Mais, à force d’instrumentaliser son incompétence supposée, ses détracteurs avaient fini par installer la question du terrorisme au cœur d’un profond malentendu. Certains pensaient même qu’il suffirait que le Grand-frère revienne d’Abidjan pour que l’ordre règne au Burkina. Mais, non ! Ce sont des fourmis magnans ! Si vous les laissez entrer, elles mutent, se reproduisent. Souvenez-vous de l’Algérie ! Bien qu’ayant une armée puissante, combien d’années a-t-il fallu à Alger pour venir à bout du terrorisme ?

    Pour déplorer l’obstination de certains Africains à refuser d’aborder frontalement les problèmes, notre ami Sidy Diallo aimait s’exclamer ainsi : « Ah ! la vie des Noirs ! » De manière plus explicite, Aimé Césaire, lui, déplorait l’habileté de certains à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’ils leur apportent.

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