On les surnomme « les moissonneurs d’eau ». Au Maroc sur les contreforts des monts de l’Atlas un couple a eu l’idée d’installer des filets pour attraper l’humidité contenue du brouillard et en faire de l’eau potable pour des villages soumis à la sécheresse.
Au sud-ouest du Maroc, dans la région de l'Anti-Atlas, Jamila Bargach et Aïssa Derehm travaillent depuis des années avec leur fondation Dar Si Hmad au bien-être des populations, notamment celui des paysans et des éleveurs confrontés à une sécheresse persistante.
Djamila et Aïssa ont eu l’idée, il y a sept ans, d’installer sur les contreforts des montagnes un système déjà éprouvé au Pérou, au Chili ou encore en Tanzanie, sur le Kilimandjaro, il s'agit d'immenses panneaux tendus de filets qui piègent le brouillard, transformant l'humidité en une eau qui s'égoutte lentement et remplit des réservoirs.
« On a fait la preuve que le brouillard est une source valide et valable et pérenne » explique Jamila Bargach « donc on a utilisé l'excédent de l'eau qu'on avait dans une région où il n'a pas plu depuis dix ans. Il y a une grande sécheresse, une vraie anxiété par rapport à la question de l'eau et à la pénurie d'eau. L'eau est absolument potable, c'est de l'eau pure, c'est excellent pour faire du café. Vous faites le meilleur café, le meilleur thé, donc l'eau, elle est absolument potable ! Ensuite, elle descend dans des réservoirs. On a une capacité de stockage de 1100 m3, donc les gens l'utilisent pour boire, pour se laver. Mais la particularité, c'est qu'on en donne aussi aux animaux. Quelquefois, les femmes nous disaient qu’elles ne vont pas boire, mais elles vont donner à boire aux animaux. Alors nous avons seize villages qui sont connectés directement. Cent vingt-sept ménages sont connectés à l'eau et nous avons une population qui fluctue entre 700 personnes et 1200 personnes en fonction des saisons ».
L'eau pour seize villages et 1200 habitantsUne installation désarmante de simplicité, mais redoutable d'efficacité. Pourtant, quand Aïssa Derehm a eu la volonté d'installer ces panneaux « pièges à eau », les populations se sont gentiment moqué de son idée loufoque.
« Quand on venait pour essayer de faire nos premières expériences » se souvient -il, « Les gens disaient : "Ces gens-là, ils sont en train de se moquer de vous ! Comment ils vont faire pour récolter le brouillard ?!?" et le jour où vraiment ils ont ouvert leur robinet dans leur maison, leur vie a changé. Vous avez maintenant des gens qui ont des chauffe-eau, des gens qui ont des machines à laver. Alors qu'il y a des villages à côté, les pauvres ! Ils souffrent, ils souffrent énormément ».
« Il y a un souk qu'ils fréquentent et du souk on voit les montagnes. À présent, quand ils voient le brouillard sur ces montagnes, ils disent : "Il y a l’eau qui va arriver !". Vous voyez, ça a changé complètement la perspective, complètement ».
Quand le brouillard est sur la montagne, l'eau va arriver !« On met un panneau d'un mètre carré, un filet d'un mètre carré qui est à une hauteur d'un mètre cinquante ou deux mètres au-dessus du sol. En général, quand vous avez une moyenne journalière de cinq litres par jour, ça veut dire que c'est bon. Vous pouvez exploiter le brouillard ».
Pour encourager Aïssa et Djamila, la Fondation Yves Rocher a décidé de remettre un prix à leur initiative. Prix « Terre de femmes » car cette idée efficace a permis à des centaines de femmes de rester vivre sur leurs terres redevenues fertiles. Marie-Anne Gasnier est la déléguée générale de la Fondation Yves Rocher.
« À la fondation, on a réalisé un rapport sur le lien entre femmes et biodiversité. Et effectivement, ce dont on se rend compte, c'est que les femmes en fait, de par leur statut social sont souvent les premières victimes en fait de la dégradation de la nature et du changement climatique. Et du coup, de fait, elles sont sources de solutions parce qu’elles prennent les problèmes à bras-le-corps et ne baissent pas les bras. Mais elles sont encore, malheureusement, trop peu financées et trop peu mises en avant. C’est donc notre contribution, nous essayons justement de pallier ces déficits ».
Avec 1700 m² de filets, Jamila et Aïssa aimeraient en déployer le double pour rendre rapidement les villages de l'Anti-Atlas autonome en eau, une petite goutte d'espoir dans un grand fleuve de volonté.