Depuis que l'Organisation de l'Unité Africaine, au tournant du millénaire, est devenue l'Union africaine, dirigée par un Président (de la Commission), en lieu et place du secrétaire général, il est le premier à boucler deux mandats. Cette prouesse, si c'en est une, laisse dans une totale indifférence les peuples africains, peu convaincus de la réelle utilité de l'Organisation panafricaine. Dans son discours d’adieu, Moussa Faki Mahamat, le président sortant de la Commission de l’Union africaine s’est félicité de nombreux succès, en déplorant quelques « insuffisances, lacunes, difficultés et défis ». Que retiendront concrètement les Africains de ses deux mandats ? Et à quoi doivent-ils s’attendre, avec Mahmoud Ali Youssouf, qui lui succédera le 15 mars prochain ?Pour être franc, les Africains n’en sont déjà plus à se préoccuper de ce qu’a éventuellement réussi (ou n’a pas osé) Moussa Faki Mahamat. Quant à son successeur, ils sauront, avec ce qu’il leur reste de patience, attendre de le voir à l’œuvre, avant de porter un quelconque jugement. Cette indifférence de fait dénote un scepticisme, sinon une grande défiance des peuples du continent, dubitatifs, quant à l’utilité de cette organisation dans leurs vies. Mais cette défiance vise davantage les chefs d’État que les présidents de Commission plus ou moins malléables qu’ils élisent.Comme si les déconvenues passées de quelques trop fortes personnalités dans ces fonctions avaient fini par inciter la plupart des titulaires à se complaire dans un excès de prudence, confinant parfois à l’inefficacité. Cela n’est, certes, pas un travers particulier à la seule Union africaine. Mais, en raison de l’importance des défis à relever, les conséquences, ici, sont d’une ampleur colossale. À lire aussi« On aurait voulu voir l'Union africaine mettre l'accent sur les graves conflits dans toutes les réunions internationales »Cette fonction requiert du courage, pour oser rappeler à leurs devoirs des chefs d’État plus souvent tentés d’utiliser cette tribune pour conforter leur pouvoir que pour défendre leurs peuples. Elle implique de savoir, à l’occasion, tenir tête aux dirigeants qui prennent des libertés avec les textes qui régissent l’organisation. Lorsqu’un État membre de l’Union européenne viole les règles de l’Union, la Commission de Bruxelles sait le rappeler à l’ordre, et même, au besoin, lui infliger les sanctions prévues par les textes.Certains premiers responsables de l’Organisation, qui ont osé tenir tête aux chefs d’État, ont eu à le payer très cher…Cela est certain. Le Guinéen Boubacar Diallo Telli, le Camerounais Nzo Ekangaki, le Togolais Edem Kodjo… autant d’expériences, dont les dirigeants africains semblent avoir tiré comme une leçon de médiocrité, préférant des présidents de Commission dociles et obéissants à de trop fortes personnalités. C’est pourtant, à l’échelle continentale, l’une des fonctions qui requièrent le plus de créativité, d’envergure et un leadership convaincant. Car, l'équation personnelle compte toujours pour beaucoup dans une telle fonction.En l’occurrence, le président sortant de la Commission dit avoir laissé aux dirigeants un document portant sur certaines questions relatives à la survie de l’organisation… N’est-ce pas courageux ?C’est ce qu’il semble suggérer, lorsqu’il affirme qu’un chef d’État a qualifié son document de « brûlot ». Mais il s’est aussi enorgueilli d’avoir passé dix-sept ans au Conseil exécutif de l’Union, qu’il nomme « Club des ministres des Affaires étrangères », entre l’époque où il y siégeait comme chef de la diplomatie tchadienne et ses deux mandats de président de la Commission. Cette longévité ne lui aura manifestement pas permis d’anticiper et de surmonter les « insuffisances, lacunes, difficultés et autres défis » qu’il décrit, par ailleurs.Pondre un « brûlot », alors que votre poste n’est plus en jeu, donc pas menacé, ce n’est ni du courage ni de la témérité. D’autres ont connu des difficultés pour avoir, justement, osé des actions qui valaient brûlots… Et il ne s’agit pas que de l’emblématique Boubacar Diallo Telli, sujet d’élite, achevé de manière inhumaine dans les geôles du panafricaniste et néanmoins dictateur Ahmed Sékou Touré.L’Afrique qui s’acharne à achever ses propres héros doit-elle s’étonner d’en manquer dans des positions aussi importantes ? Les peuples du continent sont plus que mal à l’aise, pour se plaindre du tort que leur font les autres, lorsqu’ils réalisent que, pour ne pas respecter les textes et les règles qu’elle se donne, l’Organisation panafricaine s’évertue à dissuader, sinon à casser les prétendants les plus courageux à tout leadership continental.