• Toujours dans l'indolence du pacte colonial
    Mar 29 2025
    En persistant, six décennies après les indépendances, à exporter, brutes, ses matières premières, l'Afrique, perpétue elle-même la répartition du travail qui, pour ne pas faire concurrence à la métropole, la figeait, au temps colonial, dans le sous-développement. De retour d’une tournée dans la région des Grands Lacs, le Dr Ronny Jackson a dressé, pour le Congrès américain dont il est membre, un état des lieux d’une très grande sévérité sur l’est de la RDC. Avec des propositions qui pourraient paraître discutables, sinon controversées, aux yeux de certains. Les constats de l’élu républicain ne reflètent-ils pas, malgré tout, quelques vérités, à prendre en compte ?Il serait difficile lui donner tort, lorsqu’il dépeint l’est de la RDC comme la caricature du « Far West », avec toute la charge que porte, dans l’imaginaire collectif, cette métonymie. Au XIXe siècle, le Far West américain se distinguait, en effet, par la loi du plus fort, et plus personne n’y reconnaissait les règles communes. Et il a raison d’insister sur l’incapacité du gouvernement de Kinshasa à contrôler la région, par manque de ressources. On a du mal à le contredire, même lorsqu’il pointe du doigt la corruption, l’enrichissement de certains membres du gouvernement et de leurs familles, pendant que la population survit péniblement. Quant à la responsabilité des pays voisins, Ouganda, Rwanda et Burundi, elle n’est pas contestable. Il les accuse, doux euphémisme, d’importer des minerais de l’est du Congo.Certaines de ses propositions sont, par contre, déroutantes. D’aucuns pourraient lui reprocher de reprendre à son compte l’argumentation des soutiens de la rébellion, quand il explique leur guerre par ce qu’il considère comme un déficit d’inclusion, par rapport à la citoyenneté congolaise des communautés rwandophones auxquelles sont d’ordinaire associés les rebelles du M23. Et l’idée d’intégrer les rebelles à l’armée nationale pourrait choquer, au regard de ce qui a déjà été fait dans ce sens, en vain.Pourquoi, alors, donner une telle importance à ses propositions ?Parce que Ronny Jackson passe pour être très proche de Donald Trump. Et sa perception pourrait s’imposer comme « la politique » congolaise des États-Unis. D’autant que sa vision et son insistance sur les difficultés pour les entreprises (américaines) qui voudraient s’implanter en RDC semblent conditionnées par cette forme d’avidité qui règne à Washington pour certains minerais stratégiques. Comme si l’essentiel, au fond, était de reproduire, en RDC, ce que les États-Unis tentent d’obtenir avec l’Ukraine, en échange de la paix. À ce prix, les rapports de son pays avec la RDC pourraient déboucher sur ce que l’on qualifiait, jadis, de pacte colonial. Et qui consistait, pour les nations colonisées, à alimenter en matières premières les industries de la métropole.Ce serait inquiétant, car cette répartition du travail fige les pays africains dans le sous-développement, comme dans un piège sans fin. Mais, s’il y a faute, elle incombe d’abord aux Africains eux-mêmes, qui oublient de s’industrialiser, se contentant d’engranger les royalties, pour fournir aux autres de quoi faire tourner leurs industries. Imaginez qu’un coffret d’un kilogramme de chocolat, chez un des meilleurs chocolatiers mondiaux, peut coûter, en Occident, jusqu’à 64 fois le prix du kilogramme de fèves de cacao payé au producteur africain ! L’on retrouve plus ou moins la même échelle de déséquilibre pour tout ce qu’exporte, brut, l’Afrique : café, coton, karité, bois, etc. La Chine doit largement sa richesse actuelle à la transformation des matières premières qu’elle importe d’Afrique.Pourquoi, alors, l’Afrique se cantonne-t-elle dans ce rôle de fournisseur de matières premières, pour enrichir les industries partout dans le monde ?Déficit de leadership ! Et d’audace ! Les rares nations africaines qui s’en sortent sont celles qui savent prendre leur part dans la transformation de leurs matières premières. Si la RDC regorge de minerais essentiels pour les batteries d'ordinateurs, téléphones portables et autres véhicules non polluants, pourquoi donc n’exigerait-elle pas qu’au moins une des premières transformations nécessaires se fasse sur son sol ?C’est ce que font, par exemple, les Botswanais, avec le diamant. Anvers, en Belgique, demeure, certes, la ville la plus prestigieuse du monde pour ce qui est de la taille du diamant. Mais, sur ce marché, Gaborone, capitale du Botswana où se situe la plus grande mine de diamant à ciel ouvert au monde, est loin d’être négligeable. Ainsi, grâce au leadership visionnaire de ses dirigeants, ce pays abrite les implantations de prestigieuses entreprises internationales : Hyundai, SABMiller, Daewoo, Volvo, Siemens…« Que tombe la pluie ! », dit la devise du ...
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  • Francophonie: trois départs, et vive la «bantouphonie»!
    Mar 22 2025
    Au tournant du millénaire, nombre d'Africains voyaient chez l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) un acteur décisif de la démocratisation du continent. Marquée par ses silences gênés en rapports embarrassés sur de flagrantes fraudes électorales, l'OIF est abandonnée en groupe, désormais. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont choisi la semaine du 55ème anniversaire de l'organisation pour annoncer leur retrait. Une décision qui constitue un coup dur. Pour marquer une telle commémoration, le Burkina Faso, le Mali et le Niger auraient pu espérer nouvelle plus réjouissante. Peut-être ces États espéraient-ils un retentissement d’importance, en démissionnant ainsi, en chœur. Mais, dans sa cruauté, l’actualité a fait tomber leur décision à plat, en braquant ses projecteurs sur les présidents rwandais Paul Kagamé et congolais Félix Tshisekedi, à Doha, au Qatar.Il n’empêche que, plus que jamais, l’utilité de l’OIF est source de questionnements, dans une Afrique où son rayonnement déclinait déjà passablement. Va-t-elle continuer à feindre l’indifférence ou se repenser, pour inspirer à nouveau confiance à des populations qui ont perdu toute illusion sur ce qu’elle est ?Sa secrétaire générale avait décliné, lors du dernier sommet, tout ce que n’est pas la Francophonie. Peut-être que l’OIF serait plus convaincante, si elle se contentait d’être ce qu’elle prétend être. À force de mener une politique qui prête trop souvent à confusion, elle en vient à se voir prêter des défauts qui ne sont théoriquement pas les siens. Comme lorsque cet auditeur, dans « Appels sur l’actualité » de RFI, soutient que le but de la Francophonie est de promouvoir la culture française.Ce malentendu s’entraperçoit dans la décision de retrait des trois sortants. À l’évidence, ils semblent certains de faire du tort à la France, en quittant la Francophonie. Alors que, dans les faits, leur départ n’affecte pas plus la France que la Belgique, la Suisse, ou le Canada.À lire aussiFrancophonie: les retraits du Niger, du Burkina Faso et du Mali, signes «d'une crise du multilatéralisme»Seuls perdants sont les citoyens ou organisations du Burkina Faso, Niger et le Mali qui se privent de subventionsDans cette rupture, les seuls perdants possibles sont probablement les citoyens ou organismes de ces trois pays qui vont devoir désormais se passer des petites subventions saupoudrées sur eux par la Francophonie.Certes, au fil des décennies, certaines attitudes ou décisions ont pu conforter une partie de l’opinion dans la certitude que l’OIF servait, à l’occasion, de variable d’ajustement à la diplomatie française. Ainsi, lorsqu'en dépit du soutien de Paris, Boutros Boutros-Ghali est poussé vers la sortie par la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright et a échoué à obtenir un second mandat comme secrétaire-général des Nations unies, le chef de l’État français Jacques Chirac lui offre comme lot de consolation, le secrétariat général de l’OIF.Comme il l’offrira, en 2002, au président Abdou Diouf, qui avait entre-temps perdu le pouvoir au Sénégal. Même le choix de l’actuelle secrétaire générale a été perçu comme un moyen, pour la France, sceller des relations enfin apaisées avec le président Kagamé, intraitable, jusqu’alors, en raison du génocide.Mais, le fait, pour la France, de tirer avantage diplomatique de son poids dans l’OIF ne rend pas illégitime l’application aux régimes putschistes des sanctions prévues par les textes.D’ailleurs, au Commonwealth, l'équivalent anglophone de la Francophonie, les États-membres réunis par la langue, l'histoire, la culture se revendiquent tous de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. Cela alors que leur charte précise que ces États n’ont aucune obligation les uns envers les autres, et que l’intitulé du Commonwealth - littéralement « prospérité partagée » - insiste sur la notion de partenaires libres et égaux qu’ils sont.Discréditée au sujet de régimes putschistesSans doute cette capacité à trouver des excuses à certains putschistes, tout en tenant d’autres à distance. Ces contorsions pour trouver « des évolutions positives en Guinée », alors que les méthodes du général Mamadi Doumbouya sont à peine différentes de celles de ses homologues burkinabè, nigérien et malien. Tant de discrédit enlève à quiconque l’envie de plaider la cause de l’OIF, lorsque, d’un coup, trois de ses membres l’abandonnent.Quant à la langue française, elle n’appartient plus depuis bien longtemps à la seule France. Se proclamer francophone, pour nombre d’Africains, n’est qu’une commodité. Ils sont aussi anglophones, lusophones et, comme dirait l’Ougandais Yoweri Museveni, « bantouphones ».
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  • Cédéao: la part ghanéenne du gâchis !
    Mar 15 2025
    Savoir distinguer les putschistes aux idées claires, capables de porter leur patrie sur la rampe de la démocratie et du développement, des aventuriers qui s’emparent du pouvoir avant de commencer à improviser un avenir, pour eux, plutôt que pour leurs peuples… Dans la crise existentielle que vit la Cédéao avec sa gestion des putschs et des régimes qui en sont issus, un paramètre supplémentaire vient d’être introduit par John Dramani Mahama, président du Ghana : il appelle à une reconnaissance de l’Alliance des États du Sahel par la Cédéao. A-t-il quelque chance d’être entendu ? Dans cette communauté où certains chefs d’État ont une fâcheuse tendance à faire prévaloir leur agenda personnel sur les principes et objectifs communs, d’une manière ou d’une autre, il sera entendu. À quelques semaines de son demi-siècle d’existence, la Cédéao pouvait espérer mieux que cette confusion et cette cacophonie ! À la veille de sa tournée sahélienne, le dirigeant ghanéen avait reçu, à Abidjan, la bénédiction de son homologue ivoirien pour une ultime main tendue aux pays frères, visiblement dans l’impasse.Le président Ouattara s’attendait-il à ce que John Dramani Mahama, interlocuteur nouveau et théoriquement neutre, déploie plutôt une stratégie personnelle, dans le seul intérêt du Ghana ? Probablement pas ! Mais, comment oublier que cet homme a déjà perdu le pouvoir, pour ses contreperformances économiques, et la chute vertigineuse du cedi, la monnaie ghanéenne ! Comme si cette cour maladroite qu’il fait aux pays enclavés découlait d’une envie irrépressible de mieux réussir, cette fois, en économie…Faut-il croire le président du Ghana capable de sacrifier ainsi les règles et les principes de la Cédéao, dans l’intérêt de son seul pays ?Aujourd’hui, tous les dirigeants peuvent tout sacrifier à l’économie. Le tort de la Cédéao a été de brandir les menaces et de déclencher les sanctions contre les putschistes de l’hinterland, sans en avoir mesuré les conséquences pour leurs voisins côtiers. Exportateurs de matières premières, les États du Sahel sont surtout importateurs d’une multitude de produits arrivant par l’océan, et pesant lourd dans le chiffre d’affaires des installations portuaires du Golfe de Guinée. Tout comme la petite économie des centaines de localités traversées jusqu’aux frontières du Burkina, du Mali et du Niger, transitaires et transporteurs routiers des pays de transit en profitent. Tous risquaient gros et ont, partout, beaucoup perdu. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Bénin, au Nigeria. Seul le Togo a ramassé la mise dans cette crise de la gestion des putschs par la Cédéao qui aura, au moins, montré l’intérêt d’une communauté économique, l’utilité d’une union douanière.Pour le reste, sacrifier ses principes pour des gains économiques vous expose souvent au discrédit, sans même vous garantir les parts de marché convoitées.Est-ce à dire qu’il faut craindre des conséquences pour la Cédéao, et pour John Dramani Mahama lui-même ?En faisant passer les putschistes pour des victimes innocentes, le dirigeant ghanéen a passablement terni l’image déjà dégradée d’une Cédéao qui n’a fait qu’appliquer ses textes. Certes, elle n’a pas toujours montré le même zèle dans d’autres cas similaires. Mais, président d’une des démocraties les plus fiables d’Afrique, John Dramani Mahama ne pouvait s’autoriser cette apologie de fait, comme si la baïonnette pouvait se substituer au bulletin de vote ! Comme si cette épidémie de putschs n’affectait pas la crédibilité de cette communauté économique scrutée par les marchés financiers ! Cela est d’autant plus désastreux que ce qui se joue, ici, c’est aussi la signature des États. Y compris celle du Ghana, qui n’a pourtant plus connu de coup d’État depuis quarante-quatre ans. Pour avoir, tour à tour, connu le pouvoir et l’opposition, alterné échecs et victoires par la seule volonté des électeurs, John Dramani Mahama n’avait pas le droit de se muer ainsi en chantre des putschistes. Et, même s’il devait en tomber amoureux, lui, qui doit ses premières responsabilités politiques à Jerry John Rawlings, devrait savoir distinguer les putschistes aux idées claires, capables de porter leur patrie sur la rampe de la démocratie et du développement, des aventuriers qui s’emparent du pouvoir avant de commencer à improviser un avenir, pour eux, plutôt que pour leurs peuples.
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  • En attendant le bonheur des partis uniques…
    Mar 8 2025
    Après la généralisation, dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, des détentions arbitraires, des procès expéditifs, des coups d'État et de leur cortège de kakistocratie, il n'est pas exclu que, bientôt, certains réclament le retour au monopartisme. Au Gabon, le général Brice Oligui Nguema se déclare candidat à la présidentielle du mois prochain, au grand dam de ses potentiels adversaires et d’une partie de l’opinion qui pensait qu’au terme de la transition engagée depuis le coup d’État d’août 2023, il rendrait, comme il l’avait promis, le pouvoir aux civils. Que dit cette candidature de l’engagement des militaires en politique en Afrique ?S’il subsistait, dans l’opinion, une quelconque illusion sur l’aptitude des militaires africains à tenir parole, celle-ci s’est envolée avec cette déclaration de candidature. Ces cinq dernières années, il était, sur le continent, le dernier à s’être emparé du pouvoir par un coup d’État. Il semblait plus cohérent, se distinguant même, en étant le premier à revenir, aussi vite, à l’ordre constitutionnel. Sauf qu’en choisissant de se porter candidat à une élection qu’il peut difficilement perdre, il a décidé de garder le pouvoir. Il conforte l’impression, plutôt désagréable, que les militaires putschistes sont davantage motivés par la soif du pouvoir que par une quelconque volonté de rétablir l’état de droit et la démocratie. L’on est loin des gestes majestueux des militaires justiciers, dont quelques-uns sont entrés dans l’Histoire comme semeurs de démocratie et de développement. Certes, à Libreville, beaucoup encensent le général. Mais, il n’empêche. Son seul fait de gloire, pour le moment, est d’avoir renversé l’impopulaire Ali Bongo.Ne pensez-vous pas que ceux qui chantent les louanges du général Oligui Nguema sont convaincus qu’il est le seul à avoir l’envergure pour relever le pays ?Ils ne se sont manifestement pas donnés beaucoup de peine à chercher. Il est intriguant de voir des politiciens connus naguère pour leur virulence à l’égard du pouvoir des Bongo, se muer subitement en laudateurs obséquieux du général Brice Oligui Nguema, issu du même système. Comme s’ils le remerciaient pour la place qu’il leur a conférée dans le système nouveau. Et que, pour chacun d'eux, sa candidature était juste vitale. Après tout, ils ne peuvent espérer conserver leur rang et leurs privilèges au bord de la mangeoire que si le général est confirmé dans ses fonctions actuelles. Mais il n’y a pas qu’au Gabon que l’on admire aussi facilement un militaire, pour juste avoir déposé un chef d’État. La servilité de la plupart des laudateurs est d’autant plus déconcertante qu’elle n’est nullement désintéressée…La virulence des détracteurs l’est-elle davantage ?Non, évidemment pas ! Et le plus désespérant, au Gabon comme dans de trop nombreux pays africains, est que, entre les champions de la complaisance cupide et les détracteurs stériles, il n’y a pratiquement pas d'espace pour des voix qui soient dans la mesure, avec ce qu’il faut de crédibilité, pour indiquer le cap de l’intérêt général, avec quelque chance d’être écoutées. Pendant que les profiteurs d’hier ruminent à l’écart leur rancœur, les profiteurs d’aujourd’hui embouchent leur trompette de griots, en attendant qu'un jour les rôles s’inversent. Ou que s’opèrent des ralliements, ou des défections, au nom de la transhumance si répandue dans certaines contrées.À l’indépendance du Ghana, le Dr Kwame Nkrumah se réjouissait de ce que l’Afrique avait conquis le droit de commettre ses propres erreurs. Certains semblent l’avoir pris au mot, au-delà de la caricature. Mais, en oubliant d’en assumer les conséquences. En oubliant de s’améliorer à partir des expériences malheureuses. Comme s’ils avaient délibérément fait le pari du recul permanent, certains peuples s’évertuent à répéter sans cesse les mêmes erreurs. C’est ainsi que l’on glisse subrepticement vers ce que l’on appelle la kakistocratie. Et, à ce rythme, il ne faut pas s’étonner, demain, dans la continuité de la mode des coups d’État, que l’on vienne convaincre les Africains de l’utilité, sinon du bonheur des partis uniques.À lire aussiGabon: le général Brice Oligui Nguema officialise sa candidature à la présidence
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  • Insaisissable développement
    Mar 1 2025
    PNB en entrée, PIB en plat principal, taux de croissance en dessert... Jamais, les agrégats économiques n'ont été servis à table aux populations. Non, ce n’est pas (que) cela, le développement ! Le Cap, cette semaine, accueillait les dirigeants d’un demi-millier de banques de développement du monde. Avec beaucoup d’annonces, quelques résolutions et engagements, notamment, pour des investissements dans les objectifs du développement durable. Pourquoi subsiste-t-il, malgré tout, le sentiment que le développement est un rêve inaccessible en Afrique ?Sans doute parce que la notion même de développement, aux yeux des populations, a perdu son sens. Les rares avancées sont trop souvent contrariées par des reculs brusques, qui obligent à tout recommencer, tel Sisyphe derrière sa pierre. Après soixante ans à courir après le développement, il est, en Afrique, peu de pays où l’on peut dire aux citoyens que, sur un plan précis, le développement a été atteint. Santé, éducation, adduction d’eau, électricité, infrastructures… Pas ou peu de conquêtes irréversibles !Dans les années 70 et 80, l’on abreuvait les populations de slogans définitifs, du genre : « Santé pour tous en l’an 2000 ! », que l'on déclinait sur l’éducation, l’agriculture, l’alimentation, et bien d’autres domaines. Nous sommes en 2025, et les populations attendent toujours le mieux-être et la satisfaction de leurs besoins fondamentaux que leur promettaient les politiques, avec l’accession à la souveraineté internationale.Et pourtant, presque partout, les États avaient créé des banques nationales de développement !La plupart ont fini par faire faillite, plombées par les créances irrécouvrables ou douteuses, sur des débiteurs haut-placés, des dignitaires des régimes en place… La généralisation de ces abus avait conduit les États eux-mêmes au bord de la faillite, les contraignant à l’ajustement structurel et aux plans drastiques d’austérité. Que les gouvernants acceptaient de subir sans rechigner, tant ils avaient mauvaise conscience. Ces institutions de lutte contre le sous-développement savaient, selon la formule d’Aimé Césaire, mal poser les problèmes, pour mieux justifier les mauvaises solutions qu’elles leur apportaient. En plus, elles n’avaient aucune obligation de résultats. Et quand l’ajustement structurel échouait, elles inventaient l’ajustement structurel renforcé. Ou revoyaient à la baisse leurs ambitions : réduire la pauvreté, plutôt de l'éradiquer, c’est bien commode ! À l’image de celui-là, pour qui, à défaut de développer les pays, l’on pouvait juste rendre le sous-développement habitable pour les populations.Qui donc assume ce manque d’ambition ? Les États ou les institutions ?En général, les institutions rejettent la faute sur les gouvernements. Ce que dénonçait l’économiste égyptien Samir Amin, pour qui ces institutions font de fausses analyses et proposent de fausses solutions, en substituant des recettes techniques à l’analyse des causes et des racines de la faillite du développement de l’Afrique. Du Rapport Berg, intitulé : « Pour un développement accéléré dans l'Afrique sub-saharienne », Samir Amin dénonçait la légèreté et l'irréalisme. Il déplorait que la Banque mondiale, dans ce document publié en 1981, attribue l'échec des politiques à la seule responsabilité des gouvernements africains qui, pour la plupart, n'avaient fait que suivre respectueusement les orientations indiquées par les institutions de Bretton Woods.Les reproches que faisaient ces institutions aux Africains au sud du Sahara étaient parfois contradictoires : tantôt, on les accusait de mépriser l'agriculture ; de donner la priorité à l'industrie ; de contribuer au sous-développement de leurs ressources humaines. Puis ce sont les mêmes qui faisaient croire aux populations africaines que les potions amères des programmes d’ajustement structurel suffiraient à opérer des miracles, qui changeraient leur destin. Les mêmes qui, pour « dégraisser » la Fonction publique, recommandaient d’envoyer médecins, enseignants et autres ingénieurs à la retraite à 50 ou 55 ans, âges auxquels, en Occident, les éducateurs et autres soignants étaient considérés comme suffisamment expérimentées pour transmettre le meilleur du savoir et prodiguer les soins les plus efficaces. Les mêmes qui s’étonneront, ensuite, de voir, dans ces pays, l’enseignement piquer du nez, et les hôpitaux se transformer en mouroirs. La triste réalité est que, jamais, les agrégats économiques n'ont été servis à table aux populations : PNB en entrée, PIB en plat principal, taux de croissance en dessert. Non, ce n’est pas cela, le développement !
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  • De l'excès de prudence à l'inefficacité
    Feb 22 2025
    Depuis que l'Organisation de l'Unité Africaine, au tournant du millénaire, est devenue l'Union africaine, dirigée par un Président (de la Commission), en lieu et place du secrétaire général, il est le premier à boucler deux mandats. Cette prouesse, si c'en est une, laisse dans une totale indifférence les peuples africains, peu convaincus de la réelle utilité de l'Organisation panafricaine. Dans son discours d’adieu, Moussa Faki Mahamat, le président sortant de la Commission de l’Union africaine s’est félicité de nombreux succès, en déplorant quelques « insuffisances, lacunes, difficultés et défis ». Que retiendront concrètement les Africains de ses deux mandats ? Et à quoi doivent-ils s’attendre, avec Mahmoud Ali Youssouf, qui lui succédera le 15 mars prochain ?Pour être franc, les Africains n’en sont déjà plus à se préoccuper de ce qu’a éventuellement réussi (ou n’a pas osé) Moussa Faki Mahamat. Quant à son successeur, ils sauront, avec ce qu’il leur reste de patience, attendre de le voir à l’œuvre, avant de porter un quelconque jugement. Cette indifférence de fait dénote un scepticisme, sinon une grande défiance des peuples du continent, dubitatifs, quant à l’utilité de cette organisation dans leurs vies. Mais cette défiance vise davantage les chefs d’État que les présidents de Commission plus ou moins malléables qu’ils élisent.Comme si les déconvenues passées de quelques trop fortes personnalités dans ces fonctions avaient fini par inciter la plupart des titulaires à se complaire dans un excès de prudence, confinant parfois à l’inefficacité. Cela n’est, certes, pas un travers particulier à la seule Union africaine. Mais, en raison de l’importance des défis à relever, les conséquences, ici, sont d’une ampleur colossale. À lire aussi« On aurait voulu voir l'Union africaine mettre l'accent sur les graves conflits dans toutes les réunions internationales »Cette fonction requiert du courage, pour oser rappeler à leurs devoirs des chefs d’État plus souvent tentés d’utiliser cette tribune pour conforter leur pouvoir que pour défendre leurs peuples. Elle implique de savoir, à l’occasion, tenir tête aux dirigeants qui prennent des libertés avec les textes qui régissent l’organisation. Lorsqu’un État membre de l’Union européenne viole les règles de l’Union, la Commission de Bruxelles sait le rappeler à l’ordre, et même, au besoin, lui infliger les sanctions prévues par les textes.Certains premiers responsables de l’Organisation, qui ont osé tenir tête aux chefs d’État, ont eu à le payer très cher…Cela est certain. Le Guinéen Boubacar Diallo Telli, le Camerounais Nzo Ekangaki, le Togolais Edem Kodjo… autant d’expériences, dont les dirigeants africains semblent avoir tiré comme une leçon de médiocrité, préférant des présidents de Commission dociles et obéissants à de trop fortes personnalités. C’est pourtant, à l’échelle continentale, l’une des fonctions qui requièrent le plus de créativité, d’envergure et un leadership convaincant. Car, l'équation personnelle compte toujours pour beaucoup dans une telle fonction.En l’occurrence, le président sortant de la Commission dit avoir laissé aux dirigeants un document portant sur certaines questions relatives à la survie de l’organisation… N’est-ce pas courageux ?C’est ce qu’il semble suggérer, lorsqu’il affirme qu’un chef d’État a qualifié son document de « brûlot ». Mais il s’est aussi enorgueilli d’avoir passé dix-sept ans au Conseil exécutif de l’Union, qu’il nomme « Club des ministres des Affaires étrangères », entre l’époque où il y siégeait comme chef de la diplomatie tchadienne et ses deux mandats de président de la Commission. Cette longévité ne lui aura manifestement pas permis d’anticiper et de surmonter les « insuffisances, lacunes, difficultés et autres défis » qu’il décrit, par ailleurs.Pondre un « brûlot », alors que votre poste n’est plus en jeu, donc pas menacé, ce n’est ni du courage ni de la témérité. D’autres ont connu des difficultés pour avoir, justement, osé des actions qui valaient brûlots… Et il ne s’agit pas que de l’emblématique Boubacar Diallo Telli, sujet d’élite, achevé de manière inhumaine dans les geôles du panafricaniste et néanmoins dictateur Ahmed Sékou Touré.L’Afrique qui s’acharne à achever ses propres héros doit-elle s’étonner d’en manquer dans des positions aussi importantes ? Les peuples du continent sont plus que mal à l’aise, pour se plaindre du tort que leur font les autres, lorsqu’ils réalisent que, pour ne pas respecter les textes et les règles qu’elle se donne, l’Organisation panafricaine s’évertue à dissuader, sinon à casser les prétendants les plus courageux à tout leadership continental.
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  • Retour sur la suspension de l’aide des États-Unis à l’Afrique du Sud
    Feb 15 2025
    Donald Trump, pour sanctionner une loi sur l’expropriation de certains propriétaires afrikaners, suspend l’aide des États-Unis à l’Afrique du Sud. À la surprise générale, toute la classe politique du pays, y compris l’Alliance démocratique, opposée à ladite loi, se mobilise derrière Cyril Ramaphosa, en dénonçant une désinformation propre à entacher l’image de leur pays. Comment expliquer le contraste avec la RDC, où les principales formations de l’opposition accablaient, cette semaine, Félix Tshisekedi pour sa gestion de la guerre dans l’est du pays ? Au nom du danger qui guette leur patrie, les opposants congolais auraient pu, en effet, épauler leur président. La conscience qu’ils ont de leurs responsabilités vis-à-vis de la nation est peut-être ce qui distingue la classe politique d’Afrique du Sud des politiciens de nombreux autres pays, où beaucoup ramènent tout à leurs rancœurs personnelles, à leurs intérêts immédiats. En RDC, certains ne conçoivent l’opposition entre adversaires politiques qu’en animosité incurable. En Afrique du Sud, pour préserver l’essentiel, ils savent taire, à l’occasion, leurs dissensions. Même du temps de l’Apartheid, tous les Blancs n’étaient pas des partisans bornés du racisme d’État. D'ailleurs, les extrémistes Afrikaners ont décliné l’offre d’asile de l’Américain, un président rétif aux étrangers envahissant son pays, et d’une si soudaine hospitalité ! Sa logique est indéchiffrable. Ou trop explicite…À lire aussiÉtats-Unis : Donald Trump sanctionne l'Afrique du Sud pour sa loi sur l'expropriationQu’y a-t-il de trop explicite, dans cette offre ?À quoi, à qui la fait-il ? À leur condition de persécutés ? Ou à leur couleur de peau ? En Afrique du Sud, la dimension raciale de la question de la terre est telle que l’on a dû constitutionnaliser la nécessité d’un rééquilibrage décent. 72% des terres agricoles appartiennent à 8% de Sud-Africains blancs. Certains en possèdent tellement qu’ils en laissent en jachère, ou en garanties bancaires. Trente ans après la fin de l’Apartheid, le statu quo était intenable. Les expropriations qui transforment Donald Trump en défenseur des droits de l’homme ne visaient qu’à leur reprendre les terres non exploitées. Sauf que le président des États-Unis, tel le promoteur immobilier qu’il ne peut s’empêcher d’être, salive devant chaque hectare, alors que l’on attend du leader du monde libre, d’oublier celui où prévalaient les méthodes d’antan des milieux d’affaires new-yorkais, avec les Bernard Madoff et autres personnages convaincus que l’essentiel est de prospérer, à la manière d’un Charles Ponzi, escroquant de nouveaux clients pour rémunérer les précédents. La question de la terre en Afrique du Sud est bien trop sensible pour accepter que Trump s’en mêle.À lire aussiAfrique du Sud : quasi union nationale contre la suspension de l'aide américaine et la «désinformation»Pourquoi donc est-elle si sensible, si délicate, cette question ?Sans doute parce qu’elle renvoie sans cesse au piège infernal de la responsabilité initiale : qui donc, le premier, a exproprié qui ? Nelson Mandela, magnifié, notamment en Occident, pour son leadership tolérant, a laissé beaucoup d’amertume chez les siens, pour n’avoir pas osé restituer leurs terres aux communautés noires, à la fin de l’apartheid. Même Robert Mugabe a dû s’y prendre par étapes, avant de confisquer leurs terres aux Blancs du Zimbabwe, au début des années 2000. Durant les quatorze semaines passées, en 1979, à négocier l’indépendance du Zimbabwe à Lancaster House, la délégation du Front patriotique, qu’il conduisait avec Joshua Nkomo, a maintes fois menacé de se retirer, si elle ne pouvait, en même temps que l’indépendance, restituer au peuple les terres accaparées du temps colonial. Pour sauver les négociations, le gouvernement Thatcher, au Royaume-Uni, et l’administration Carter, aux États-Unis, leur proposèrent d’accepter l’indépendance, avec la promesse de leur octroyer, dans cinq ans, les fonds pour racheter leurs terres aux propriétaires blancs. À l’échéance, Ronald Reagan, président des États-Unis, prétextera de l’orientation marxiste du régime zimbabwéen pour refuser d’honorer la promesse. Dans l’impossibilité d’honorer la principale promesse de l’indépendance, Mugabe revient régulièrement à la charge. En vain. Aussi, choisit-il, vingt ans après l’indépendance, de recourir aux grands moyens, avec quelques maladresses. Des manifestants expulsent les Blancs et occupent les propriétés. Pointant Mugabe du doigt, Tony Blair invitera alors le monde à contempler ce qu’est un dictateur sans pitié. Sans doute l’était-il. Mais était-ce vraiment là, la question ? Une belle diversion !
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  • Trump 2: retour au nombrilisme
    Feb 8 2025
    Au tout début de son second mandat, le quarante-septième président des États-Unis semble découvrir que son pays n'est pas seul au monde, et profite autant des autres que les autres de l'Amérique. Sa politique d'intimidation semble vouée à l'échec. Retrait de l’Accord de Paris sur le climat, sortie de l’OMS et d’autres organes du système des Nations unies, visées sur le Groenland, le canal de Panama, et maintenant Gaza, vidée de ses habitants… En seulement deux semaines, Donald Trump, par ses annonces et décisions aussi intempestives que troublantes, a affolé les chancelleries et les places financières. Que laisse présager tout cela de son second mandat ?Sans doute beaucoup d’improvisations. Et, aussi, des reculs spectaculaires. Car, plus personne n’entend se laisser intimider par lui, désormais. Sur l’augmentation des droits de douane, le Canada et le Mexique l’ont déjà fait reculer. Et les mesures de rétorsions vigoureuses de la Chine sont et pèseront de leur poids. À terme, ce président perdra donc sa capacité d’intimidation, et sera démystifié par ceux qui le prenaient pour un Rambo conquérant. Il ne lui resterait plus alors que la tentation de la fuite en avant. Avec ce que cela comporte de risque pour l’équilibre d’un monde sommé de subir les sautes d’humeur d’un président des États-Unis élu par 77 millions de ses concitoyens, président dont le pouvoir dépasse les frontières de leur pays, et dont les décisions troublantes ont des implications, loin de chez eux.À lire aussiDonald Trump lance la guerre commerciale contre le Canada, le Mexique et la ChineComment pouvaient-ils imaginer tout ce dont est capable ce président ?Ils auraient dû savoir. Trump n’est pas un inconnu. Dans la multitude de témoignages qui lui sont consacrés, trois personnalités qui l’ont pratiqué et ne le détestaient pas toutes dressent de lui un portrait qui aurait dû intéresser davantage ceux qui, pour la seconde fois, viennent de l’imposer au monde. « Imposteur, charlatan, personnage autoglorifiant s’attribuant des succès qu’il ne mérite pas », disait de lui, dans les années 80, Ed Koch, maire de la ville de New York, à laquelle il avait extorqué, pour sa Trump Tower, quarante ans d’abattements fiscaux.Roy Cohn, avocat de cinq familles de la maffia new-yorkaise, qu’il avait choisi pour conseil en raison de sa capacité à intimider les autres, disait, bien avant janvier 2021, que Trump ne supportait pas de perdre. Enfin, Barbara Reiss, l’ingénieure qui a construit pour lui la Trump Tower, le décrivait comme un homme qu’il valait mieux ne pas avoir face à soi. « Il attaquait, disait-elle, il était vicieux, et aimait s’en prendre à deux sortes de personnes : les faibles – parce qu’il trouvait toujours leurs failles et les exploitait –, et ceux qui s’en prenaient à lui, et contre qui il se retournait, dès lors qu’il se sentait plus fort ».Sur lui, tout avait et été dit, tout était su. Nul ne découvre aujourd’hui, à la tête de la première puissance mondiale, un homme différent de celui qui confiait à la chroniqueuse mondaine Rona Barrett, dans les années 80, que s’il perdait tout, il ferait de la politique.Pour beaucoup, il demeure l’homme qui veut rendre sa grandeur à l’Amérique. Et ils le croient…Ces deux dernières semaines, il a plutôt été le révélateur des vulnérabilités de l’Amérique, qui a reculé devant les mesures de rétorsions brandies par le Canada et le Mexique. Tous savent, désormais, où frapper et comment parer à l’intimidation. À force d’indexer, dans ses monologues de campagne, certains pays comme des pique-assiette abusant de la générosité des Américains, il a oublié les milliers de milliards de dollars que tirent les USA du commerce avec les autres. Et il est tombé de haut, en apprenant les conséquences de la riposte des autres au mépris : renchérissement des importations en provenance de ces États, menaces sur les emplois dans les industries américaines exportant vers ces pays... Comme s’il découvrait, soudain, que les Américains ne sont pas seuls au monde.Justifier le report des tarifs douaniers visant le Canada et le Mexique par les efforts déployés sur leurs frontières est une supercherie, dont il ne pourra user indéfiniment pour différer son hasardeuse promesse de campagne. Il finira donc par reconnaître que les autres ne sont pas que des parasites. Mieux : qu’aucun peuple, sur terre, ne vend aux autres autant que les Américains. Sous toutes les latitudes, le reste du monde leur achète, à chaque seconde, des milliers de produits. En supplément à leurs mesures de rétorsion, les Chinois, du haut de leur culture millénaire, ont rappelé aux Américains que les guerres commerciales font rarement des vainqueurs. Dans le vacarme suicidaire de la tentation nombriliste, cette vérité d’intelligence méritait d’être...
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