Il est vrai que l’on se comprend mieux, en général, lorsque l’on parle la même langue. Mais où donc se formeront les génies que l'on comptabilise déjà comme l'élite, censée faire rayonner le monde francophone de demain ? « La Francophonie n’est pas un repli sur soi, par rapport à la langue anglaise ; elle n’est pas non plus la Françafrique », affirmait, hier, Louise Mushikiwabo à la cérémonie d’ouverture du XIXème sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Comment comprendre que, 54 ans après sa création, cette organisation en soit encore à traîner ce que sa Secrétaire générale qualifie d’« idées reçues tenaces » ?En général, c’est lorsqu’une institution peine à s’imposer par ses valeurs réelles qu’elle se retrouve à devoir se défaire d’une image négative répandue dans l’opinion. La francophonie a souvent eu, ces deux dernières décennies, à transiger avec les principes qu’elle professe. D’où les idées reçues, qui germent facilement dans une opinion d’autant plus suspicieuse qu’elle a cru, avec la Déclaration de Bamako, en l’an 2000, que cette institution pouvait aider à consolider l’État de droit et la démocratie sur ce continent. D’élections truquées, validées envers et contre les évidences, en rapports timides, sinon complaisants, sur des scrutins ouvertement contestables, les peuples, désabusés, en sont venus à faire à l’OIF une réputation parfois injuste, ou totalement infondée.À lire aussiFrance: ouverture du XIXe sommet de la Francophonie en présence de nombreux dirigeants africainsTrois mois après sa prise de fonctions, la secrétaire-générale Mushikiwabo avait, elle aussi, dressé, en mars 2019, un tableau accablant des insuffisances de cette organisation. Celle-ci manquait de visibilité et de pertinence, selon elle, et devait s’interroger sur ses objectifs, son orientation et même sur son positionnement sur la scène internationale.À trop vouloir ménager les seuls dirigeants, la francophonie a peut-être oublié d’épouser les attentes réelles des populations. Et cela au-delà des jeunes entrepreneurs, dont le génie, fatalement, serait éteint, s’il ne prévalait pas, dans l’espace dans lequel ils évoluent, un État de droit, la démocratie.« Créer, innover et entreprendre en français », n’est-ce pas un thème plutôt fédérateur pour ce sommet ?Autant l’épanouissement d’une jeunesse ingénieuse est fondamental, autant la langue que parlent ces génies demeure suspendue aux centres de recherches et autres viviers dans lesquels ils se forment et évoluent. Peut-être que la Francophonie devrait-elle mener une enquête sérieuse sur les jeunes francophones, Africains notamment, qui, faute de pouvoir se former en France ou au Canada, abandonnent leur formation ou vont en Inde, en Chine, dans le Golfe, en Turquie, au Japon ou dans quelque pays improbable.Certains se souviennent sans doute de cet astrophysicien qui avait piloté, en 1997, le robot Sojourner de la Nasa, envoyé à la surface de Mars. L’on a découvert qu’il était Malien. Parlant très bien français, certes, mais américain, dans l’équipe de JPL (le laboratoire de propulsion de la Nasa) qui l’a formé et le faisait travailler.Les États font une distinction entre migrants et étudiantsIl est des étudiants, parfois brillants, qui ne peuvent accéder au savoir que par le chemin des migrants. Mais, lorsque, pour des raisons politiciennes ou autres, on tient tout le monde à distance, on peut risquer de priver la francophonie de purs génies, chercheurs et créateurs de certaines origines francophones. Parmi les rejetés, certains iront aux quatre coins du monde préparer l’avenir dans des laboratoires et temples du savoir où les technologies de pointe se traitent en mandarin, en anglais, en japonais ou en allemand.Que d’étudiants, d’écrivains, de chercheurs et de cerveaux féconds, déjà discriminés dans leur propre pays, sont ainsi privés de ce qui a été décrit dans les documents de ce XIXème sommet de la Francophonie comme la « bienveillante hospitalité fédératrice de la langue française » ! Exclus de la fameuse diversité et de la richesse de l'espace francophone, ils manqueront, et ne contribueront pas à faire vivre la langue française à l’échelle mondiale.Tout comme certains excellents footballeurs d’origine africaine et autres qui font la gloire de l’équipe de France sortent de centres de formation en France, l’on ne peut espérer voir ces talents venir renforcer un jour un univers francophone qui ne les aura pas formés.La sagesse populaire, en Afrique, dit que celui qui parle votre langue et l’adopte est, a priori, un ami. Car, en général, l’on se comprend toujours mieux, lorsque l’on parle la même langue.À lire aussiPourquoi la Francophonie continue-t-elle de s'étendre à des pays non francophones?
Show more
Show less