PNB en entrée, PIB en plat principal, taux de croissance en dessert... Jamais, les agrégats économiques n'ont été servis à table aux populations. Non, ce n’est pas (que) cela, le développement ! Le Cap, cette semaine, accueillait les dirigeants d’un demi-millier de banques de développement du monde. Avec beaucoup d’annonces, quelques résolutions et engagements, notamment, pour des investissements dans les objectifs du développement durable. Pourquoi subsiste-t-il, malgré tout, le sentiment que le développement est un rêve inaccessible en Afrique ?Sans doute parce que la notion même de développement, aux yeux des populations, a perdu son sens. Les rares avancées sont trop souvent contrariées par des reculs brusques, qui obligent à tout recommencer, tel Sisyphe derrière sa pierre. Après soixante ans à courir après le développement, il est, en Afrique, peu de pays où l’on peut dire aux citoyens que, sur un plan précis, le développement a été atteint. Santé, éducation, adduction d’eau, électricité, infrastructures… Pas ou peu de conquêtes irréversibles !Dans les années 70 et 80, l’on abreuvait les populations de slogans définitifs, du genre : « Santé pour tous en l’an 2000 ! », que l'on déclinait sur l’éducation, l’agriculture, l’alimentation, et bien d’autres domaines. Nous sommes en 2025, et les populations attendent toujours le mieux-être et la satisfaction de leurs besoins fondamentaux que leur promettaient les politiques, avec l’accession à la souveraineté internationale.Et pourtant, presque partout, les États avaient créé des banques nationales de développement !La plupart ont fini par faire faillite, plombées par les créances irrécouvrables ou douteuses, sur des débiteurs haut-placés, des dignitaires des régimes en place… La généralisation de ces abus avait conduit les États eux-mêmes au bord de la faillite, les contraignant à l’ajustement structurel et aux plans drastiques d’austérité. Que les gouvernants acceptaient de subir sans rechigner, tant ils avaient mauvaise conscience. Ces institutions de lutte contre le sous-développement savaient, selon la formule d’Aimé Césaire, mal poser les problèmes, pour mieux justifier les mauvaises solutions qu’elles leur apportaient. En plus, elles n’avaient aucune obligation de résultats. Et quand l’ajustement structurel échouait, elles inventaient l’ajustement structurel renforcé. Ou revoyaient à la baisse leurs ambitions : réduire la pauvreté, plutôt de l'éradiquer, c’est bien commode ! À l’image de celui-là, pour qui, à défaut de développer les pays, l’on pouvait juste rendre le sous-développement habitable pour les populations.Qui donc assume ce manque d’ambition ? Les États ou les institutions ?En général, les institutions rejettent la faute sur les gouvernements. Ce que dénonçait l’économiste égyptien Samir Amin, pour qui ces institutions font de fausses analyses et proposent de fausses solutions, en substituant des recettes techniques à l’analyse des causes et des racines de la faillite du développement de l’Afrique. Du Rapport Berg, intitulé : « Pour un développement accéléré dans l'Afrique sub-saharienne », Samir Amin dénonçait la légèreté et l'irréalisme. Il déplorait que la Banque mondiale, dans ce document publié en 1981, attribue l'échec des politiques à la seule responsabilité des gouvernements africains qui, pour la plupart, n'avaient fait que suivre respectueusement les orientations indiquées par les institutions de Bretton Woods.Les reproches que faisaient ces institutions aux Africains au sud du Sahara étaient parfois contradictoires : tantôt, on les accusait de mépriser l'agriculture ; de donner la priorité à l'industrie ; de contribuer au sous-développement de leurs ressources humaines. Puis ce sont les mêmes qui faisaient croire aux populations africaines que les potions amères des programmes d’ajustement structurel suffiraient à opérer des miracles, qui changeraient leur destin. Les mêmes qui, pour « dégraisser » la Fonction publique, recommandaient d’envoyer médecins, enseignants et autres ingénieurs à la retraite à 50 ou 55 ans, âges auxquels, en Occident, les éducateurs et autres soignants étaient considérés comme suffisamment expérimentées pour transmettre le meilleur du savoir et prodiguer les soins les plus efficaces. Les mêmes qui s’étonneront, ensuite, de voir, dans ces pays, l’enseignement piquer du nez, et les hôpitaux se transformer en mouroirs. La triste réalité est que, jamais, les agrégats économiques n'ont été servis à table aux populations : PNB en entrée, PIB en plat principal, taux de croissance en dessert. Non, ce n’est pas cela, le développement !
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