De la Haute-Volta au Burkina, ce pays, en soixante-et-un ans d'indépendance, a été dirigé par les militaires pendant… quarante-sept ans ! Avec les résultats mitigés que tous déplorent. Et qui semblent laisser de marbre ceux des Burkinabè qui n'en finissent pas de chanter les louanges des militaires qui ont renversé, le 24 janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré.
Suspendre le Burkina des instances de la Cédéao semble être une décision plutôt modérée, généralement interprétée comme le signe d’une volonté de conciliation, qui tient compte de l’accueil quelque peu enthousiaste des populations à l’égard des putschistes. Faut-il s’attendre à ce que ces concessions à l’opinion valent aux chefs d’État ouest-africains un peu d’indulgence de la part de leurs peuples ?
Si les coups d’État sont contraires aux bonnes mœurs démocratiques – et ils le sont – alors, il ne faut pas les accepter, même du bout des lèvres. Le Nigeria a déjà eu à faire échec à un coup d’État en Sierra Leone, et le Sénégal, en Gambie. Et l’on attend de savoir de quelle expertise se prévalent les militaires pour s’estimer plus qualifiés, pour diriger leur pays, que les médecins, les enseignants et tant d’autres professions utiles. Les putschistes justifient leur coup par ce qu’ils considèrent comme des défaillances de leadership d’un chef d’État élu. À ce prix, nombre de chefs d’État, de par le monde, perdraient le pouvoir au bout de deux ans. Aux États-Unis, en France, au Japon...
La meilleure façon de priver les putschistes de leurs alibis est d’éviter de tricher avec la Constitution et les institutions, qui devraient suffire à indiquer à chacun les limites de son pouvoir. À condition, évidemment, que les hommes qui incarnent ces institutions n’aient pas cette fâcheuse tendance, africaine, à la révérence vis-à-vis de tout président en place. Sur le continent, curieusement, jamais l’on ne parle de coup d’État là où les contre-pouvoirs fonctionnent bien, et ne sont pas réduits à une certaine servilité.
Regardez donc comment, en Grande-Bretagne, pour une faute qui passerait pour un péché véniel dans bien des pays africains, le Premier ministre Boris Johnson est en train d’être contraint à la démission par les institutions ! À part la destitution, en 1996, du professeur Albert Zafy, à Madagascar, le chef d’État, dès lors qu’il est élu, devient, dans la plupart des pays, d’autant plus intouchable que les institutions s’aplatissent devant lui, sans même qu’il ait à stimuler leur zèle. La meilleure protection contre les coups d’État reste la force des institutions, surtout celles qui gênent parfois.
Les arguments qu’avancent les militaires seraient donc fondés ?D’un pays à l’autre, le discours des putschistes reste quelque peu stéréotypé. Peut-être les problèmes sont-ils les mêmes. Le métier du militaire est de défendre la patrie, lorsqu’elle est en danger. Ils se plaignent de ne pas disposer de suffisamment de moyens. Dans l’armée américaine aussi, on se plaint de l’insuffisance des moyens. Les médecins, les enseignants aussi se plaignent de manquer de moyens. Et pourtant, ils soignent, guérissent, dispensent le savoir, sans réclamer que le chef de l’État leur remette sa démission.
Sauf que les militaires ont les armes !… Nous y voilà ! C’est leur outil de travail, qu’ils jugent insuffisant, pour vaincre l’ennemi, mais si efficace, pour déloger un chef d’État du pouvoir. La plupart des peuples ont déjà donné ! En une soixantaine d’années d’indépendance, nombre de pays africains ont été dirigés, en moyenne, plus de trente ans par les militaires, sans apporter, partout, la prospérité, la liberté, la démocratie, ou simplement la protection aux populations. Le Burkina, en soixante-et-un ans d’indépendance, a été sous le joug des militaires pendant au moins quarante-sept ans ! Depuis 1960, en dehors des intérimaires, il a connu cinq présidents militaires, contre… deux civils !
Il ne faut pas que les condamnations venues de l’extérieur deviennent une diversion, pour oublier de se concentrer sur le génie par lequel les militaires, si loin du front, entendent faire merveille, au palais présidentiel. C’est si facile de s’emparer du pouvoir, avant de commencer à réfléchir, ou d'improviser sur ce que l’on entend en faire.