Vigoureusement défiée dans ce qui était autrefois son pré-carré en Afrique, la France doit aussi composer avec le désamour de plus en plus grand d'une partie de l'opinion. Si Paris veut éviter une perte irréversible d'influence dans ses anciennes colonies, il lui faudra gérer avec doigté la fronde actuelle.
Au chronogramme annoncé par Paris pour le retrait de ses troupes du Mali, la junte de Bamako répond par une injonction à vider les lieux immédiatement, la junte se promettant de superviser l’état des lieux. Ce à quoi Emmanuel Macron rétorque que ce départ se fera en bon ordre, dans le respect de la sécurité des militaires. Pourquoi donc cette rupture ne peut-elle se faire dans le calme, en bonne intelligence ?
Sans doute parce que ces accrochages verbaux entre les deux capitales sont devenus un fonds de commerce qui sert sûrement la popularité de quelques-uns. Ce retrait était annoncé, attendu. Et l’on aurait cru que ceux qui parlent au nom de la junte se contenteraient d’un tonitruant : « bon débarras ! ». Mais, ç’aurait été trop simple. Le communiqué de la junte laisse la désagréable impression qu’il faut à tout prix désigner un coupable, qui aurait violé ses engagements. Comme pour instaurer une tension supplémentaire, susceptible de dégénérer à la moindre petite étincelle. Cela devient épuisant de voir ceux qui ont un Etat à diriger, et des devoirs vis-à-vis de leurs peuples, regarder le doigt, pendant que le sage montre la lune.
En politique, la popularité auprès de son peuple est toujours plus saine et plus durable, lorsqu’elle se fonde sur l’adhésion à une vision, incarnée par un leader, plutôt que sur la détestation d’un ennemi extérieur opportunément trouvé.
Les Français, mal-aimés, veulent partir. Cela ne peut-il pas se comprendre ? Justement ! Laissez-les s’en aller, et occupez-vous de votre peuple ! A quoi servent des injonctions adressées à quelqu’un qui vous ignore, et qui fera comme il a prévu, en évitant de faciliter la tâche à vos véritables ennemis, les djihadistes ? Les dirigeants maliens peuvent donc oublier un peu les Français, pour montrer à leur peuple en détresse, qu’ils ont mieux à lui offrir que des slogans et des communiqués enflammés. Ce serait un cuisant échec, pour cette junte, de transformer le peuple malien en paria des nations ouest-africaines.
Echec, vous l’avez dit. Tout le monde parle d’échec…Et chacun se plaît à l’accoler à la partie adverse, puisqu’il faut bien parler d’adversité. C’est un immense échec, dont chaque partie devrait prendre sa part, d’autant que les conséquences sont devant nous, et pas derrière. La France, défiée dans son pré-carré, y laisse une part de son prestige, car cette histoire est l’illustration de ce que Dominique de Villepin, dans une de ses fulgurances, a, ces derniers temps, qualifié de « désinfluence ».
De fait, dans la plupart des ex-colonies françaises d’Afrique occidentale et d’Afrique centrale, les banques françaises qui tenaient le haut du pavé sont à la traîne, lorsqu’elles n’ont pas tout simplement disparu. Les milieux d’affaires, dans ces pays, vont s’équiper, s’approvisionner en Chine, en Turquie, à Dubaï, et presque plus à Paris. Le cœur n’y est plus. Ils vont même, pour se soigner, en Turquie, ou en Tunisie.
La France perd pied dans cette Afrique qui lui a longtemps permis de tenir son rang dans le monde. S’il est exagéré de parler de sentiment anti-français, laisser croire que l’opinion africaine, aujourd’hui, déborde d’amour pour la France peut difficilement s’entendre. La France a vécu avec l’Afrique des relations monopolistiques. En économie comme en amour, les monopoles, à force de durer, finissent par créer un confort de peu d’effort chez celui qui en bénéficie, et une forme plus ou moins ouverte de défiance, chez celui qui les subit. Voilà pourquoi toutes les tentatives d’Emmanuel Macron pour conquérir les nouvelles générations se heurtent si souvent au plafond de verre qu’est le passif accumulé, et dont quelques survivances viennent encore, de temps à autre, polluer toute avancée.