Mercredi 5 mars, après l’annonce du gel de l’aide militaire américaine, le chef de la CIA John Ratcliffe a « mis en pause » le partage de renseignement avec Kiev. Le renseignement américain était pourtant essentiel à la conduite des opérations sur un champ de bataille particulièrement transparent. La fin de l’aide américaine dans ce domaine crucial, laissera un vide difficile à combler.
Pour Kiev le coup est rude : les forces ukrainiennes ont à la fois perdu l’apport en matériels stratégiques, à l’instar de la défense sol-air avec l’emblématique système Patriot, l’artillerie longue portée avec les Himars mais surtout l’armée ukrainienne a perdu l’accès au renseignement, véritable clé de leur efficacité souligne Philippe Gros de la Fondation pour la recherche stratégique : « Le moins visible, c'est le renseignement et pourtant il est énorme, c'est-à-dire l'appui renseignement aux forces ukrainiennes et notamment l'appui renseignement qui permet aux forces ukrainiennes de planifier leurs feux dans la profondeur. Le renseignement américain a servi directement à appuyer la planification du ciblage effectuée par les Ukrainiens dans la profondeur du dispositif russe, ça c'est sûr. Alors attention, les Américains n’ont pas été les seuls à fournir du renseignement. Mais la machine du renseignement américaine était telle que dans ce domaine, vous avez un écart énorme avec les productions des autres alliés ».
Des conséquences immédiates sur le champ de batailleLes frappes ukrainiennes sur les concentrations d’hommes et de matériels russes ont permis d’entraver les offensives russes. Sans renseignement, les conséquences se feront sentir très rapidement note Vincent Tourret chercheur à l’université de Montréal, « L'absence d'une aide américaine de renseignement va surtout avoir un impact en termes de délai du ciblage. C'est-à-dire qu'au lieu d'avoir une frappe réactive en cinq minutes, on dit dynamique une frappe dynamique, là les frappes ukrainiennes risquent d'avoir un temps de latence un peu plus élevé, mais ce n’est pas insurmontable. Parce que les Ukrainiens sont toujours très inventifs, donc ils ont plein de capteurs assez alternatifs pour compenser le manque d'aide américaine ».
La perte problématique de la constellation StarlinkEt l’alternative pourra venir de Paris, qui a indiqué cette semaine fournir du renseignement aux ukrainiens. Du renseignement spatial pour avoir une image précise et en temps réel du champ de bataille et du renseignement électromagnétique pour obtenir des indications sur les activités aériennes. En revanche, il sera plus difficile de compenser le retrait du système de communication américain pointe Vincent Tourret, « Les Ukrainiens dépendent quand même très fortement de Starlink (Réseau satellitaire de communication appartenant à Elon Musk. Ndlr). Là encore, ça n’est pas rédhibitoire, mais encore une fois c'est des latences supplémentaires. L'avantage de Starlink, c'est que ça vous donne un internet du champ de bataille aisément déployable. Avec un temps de déploiement qui n’excède pas cinq minutes. L'objet est très ergonomique, donc en plus la prise en main est facile. Il existe d'ailleurs d'autres constellations qui sont moins sophistiquées. Le champ de bataille est quand même assez positionnel, donc même s'il y a une perte de l'internet maintenant, il faut bien imaginer que les Ukrainiens, comme les Russes d’ailleurs, ils ont de la fibre optique, ils ont des fils téléphoniques, ils ont plein d'autres moyens de communication. Mais Starlink, c'était un peu la crème de la crème des COM et ça leur permettait de pallier à beaucoup de problèmes. Ça rend les choses plus complexes pour les Ukrainiens, mais ça ne sera pas synonyme d'un effondrement de la ligne de front ».
Pas d’effondrement du front, plutôt un rééquilibrage en faveur de Moscou. Car avec le retrait américain du renseignement et des communications disparaît une partie de l’excellence tactique des forces ukrainiennes. Washington impose un frein à l’efficacité opérationnelle. C’est le cadeau de la Maison blanche au Kremlin.