Le portrait de l’économie nous emmène aux États-Unis. Depuis deux semaines, une partie des travailleurs syndiqués de l’industrie automobile sont en grève pour des augmentations salariales et d’autres avantages contre les trois constructeurs américains : General Motors, Ford et Stellantis. À la tête du syndicat des travailleurs unis de l’automobile, l’UAW selon l’acronyme américain, il y a Shawn Fain, une personnalité au style offensif. Décryptage avec Guillaume Naudin à Washington.
C’est valable pour ses relations avec les patrons de l’industrie automobile, mais aussi au sein même de son propre syndicat. Il le dirige depuis le mois de mars dernier. Il a réussi à évincer la direction sortante, un peu à la surprise générale, même s’il est membre du syndicat depuis 30 ans et que deux de ses grands-parents étaient déjà dans le métier. Et ce que vous allez entendre, ce sont ses premiers mots à la tribune après son élection :
« Let’s get ready to rumble ! (Préparons-nous à la bagarre !) »
Les amateurs de boxe auront peut-être reconnu la formule consacrée de l’animateur de combats Michael Buffer, très connu ici. Il a même joué son propre rôle dans un film de Rocky. Voilà donc la première image que Shawn Fain, natif de Kokomo, dans l’Indiana, a voulu donner de lui. C’est dire son état d’esprit dans cette grève qui pour la première fois touche les trois constructeurs en même temps.
En effet, c’est donc un style sans concession et c’est nouveau.
Oui, les précédents dirigeants du syndicat des travailleurs de l’automobile étaient davantage dans la négociation. Mais ça, c’était avant. C’est une question de personnalité et c’est aussi une question d’opportunité et d’environnement, selon le chercheur principal des études économiques de la Brookings Institution, Harry Holzer.
« Il est plus agressif dans sa recherche d’un bon accord que ce que nous avons vu de la part d’anciens présidents. Mais est-ce que c’est lié à lui ou aux circonstances ? Les travailleurs ont abandonné beaucoup de choses pour sauver ces entreprises pendant la crise financière, il y a environ quinze ans. Et les salaires restent plus bas que ce qu’ils étaient à l’époque. Les entreprises se sont rétablies et font des bénéfices très importants. Donc, toutes ces circonstances créent un environnement dans lequel Shawn Fain peut être plus agressif et plus exigeant. Et au passage, c’est aussi peut-être qu’il y a beaucoup de grèves en ce moment aux États-Unis, beaucoup de groupes syndicaux. C’est dans l’air du temps depuis la pandémie que les syndicats soient plus agressifs, pour différentes raisons. Et peut-être que ça l’encourage aussi. »
Et, en effet, Shawn Fain n’hésite pas à tenir un discours assez inhabituel aux États-Unis.
En début de semaine, Joe Biden s’est rendu sur un piquet de grève à Detroit, pour apporter son soutien aux grévistes. C’était la première fois qu’un président faisait ça de mémoire d’historien. Il a parlé au total moins d’une minute trente. Shawn Fain, lui, a parlé plus longtemps. Pour dire que son syndicat était en guerre contre la cupidité des entreprises ; la classe des milliardaires, les élites et les PDG, sous le regard un peu circonspect du président, qui s’est bien gardé d’apporter son soutien à cette partie du discours. C’est un fait, Shawn Fain n’aime pas les milliardaires. Il refuse d’ailleurs de voir l’ancien président Donald Trump, lui-même venu courtiser le vote ouvrier à Detroit.
« Je ne vois pas l’intérêt de le rencontrer parce que je ne pense pas que ce type ait le moindre intérêt pur ce pourquoi nos travailleurs se battent et ce pourquoi la classe ouvrière se bat. Il sert la classe des milliardaires et c’est ce qui ne va pas dans ce pays. »
Et Shawn Fain est très direct avec ses interlocuteurs.
Oui, difficile de dire si c’est une technique de négociation qui consiste à demander beaucoup pour obtenir un bon résultat, mais il demande près de 40% d’augmentation sur quatre ans, ainsi que la semaine de 4 jours payés 5 jours. Il l’exige, même. C’est parce qu’il pense qu’il en a les moyens. Son syndicat a une caisse de grève estimée à plus de 800 millions de dollars. Et toute historique qu’elle soit, cette grève ne concerne pour l’instant que 18 000 syndiqués sur 150 000. Bref, Shawn Fain en a encore sous la pédale et ne se prive pas de poser des ultimatums aux constructeurs en les menaçant d’aller plus loin.