En Tunisie, les défenseurs des droits de l'homme se réjouissent de la libération, la semaine dernière, de quatre détenus politiques. Mais pour eux, c'est l'arbre qui cache la forêt. Plusieurs dizaines d'autres figures de l'opposition et de la société civile restent en prison, notamment pour avoir soutenu des migrants. Aujourd'hui, plusieurs ONG tunisiennes interpellent le président Kaïs Saïed, mais aussi la Première ministre italienne, Giorgia Meloni. Romdhane Ben Amor est le porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). En ligne de Tunis, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. RFI : La semaine dernière, quatre opposants et militants pour les droits de l'homme ont été libérés. Est-ce que c'est une bonne nouvelle ?Romdhane Ben Amor : Bien sûr, les libérations sont toujours des bonnes nouvelles. La liberté est une chose qui nous satisfait, bien sûr. Surtout pour des personnes qui sont détenues depuis des mois. Mais ce n’est pas le signe d'une ouverture de la part de la présidence de la République en Tunisie. Ce sont plutôt des actions qui ont anticipé les réunions du Conseil des droits de l'homme de l’ONU, où la Tunisie sera aussi convoquée. C'est donc une action qui a anticipé un peu les critiques. Ce jeudi, on n'était pas très satisfait de ce qui s'est passé parce que le tribunal de Tunis a refusé la libération de personnes qui travaillent dans des ONG d'aide aux migrants.Il y a ces quatre figures tunisiennes qui viennent d'être libérées, mais combien d'autres restent en prison ?Tout d'abord, il y a des dizaines de décideurs politiques qui sont encore en prison dans des affaires de complot. On a aussi des dizaines de décideurs, ou bien des gens qui ont travaillé dans des ONG surtout liées à la migration, qui sont encore en prison. Ils ont dépassé aujourd'hui les 300 jours de détention. On a malheureusement des dizaines de jeunes qui sont en prison parce qu’ils ont juste critiqué la situation politique, économique ou bien sociale par le fameux décret 54 qui est maintenant le plus utilisé pour faire taire toutes les voix qui critiquent la situation.Vous parlez du décret 54. C'est ce décret présidentiel de septembre 2022 qui vise officiellement à lutter contre les fakes news, les fausses informations, et qui est à l'origine des poursuites judiciaires actuelles contre quelque 400 personnes. Parmi elles, il y a deux figures de la société civile : l'ancien conseiller du Haut-Commissaire aux réfugiés, Antonio Guterres, il s'agit bien sûr du grand diplomate Mustapha Djemali. Et puis la directrice de Terre d'asile Tunisie, Sherifa Riahi, qui a été arrêtée l'année dernière, deux mois après son accouchement. Pourquoi cet acharnement contre ces personnalités ?Kaïs Saïed, quand il a fait son discours raciste le 21 février 2023 envers les migrants, a parlé d'un complot contre l'État tunisien pour changer la composition démocratique. Alors, les organismes de l'État ont mobilisé pour prouver ces propos de Kaïs Saïed et pour dire qu'il y avait un vrai complot, surtout au niveau de la situation avec les migrants. L'État a été mobilisé après une réunion du Conseil de sécurité nationale, en mai 2024. Ils ont surtout visé les ONG qui travaillent pour soutenir les migrants. Ils ont donc visé Mustapha Djemali, Abdelrazek Krimi du Conseil tunisien des réfugiés, Iyadh Bousselmi, Sherifa Riahi, Mohamed Joô de Terre d'asile Tunisie, Saadia Mosbah de l’association Mnemty et les autres. Donc, à travers ces propos, Kaïs Saïed dit qu'il y a un vrai plan et que ce plan-là vient des gens qui ont des relations avec l'étranger. Quand on parle de Mustapha Djemali ou par exemple de Terre d'asile, ce sont pour Kaïs Saïed les stéréotypes qui nourrissent sa narration. Et aussi pour lui, ce sont les gens qui sont impliqués d'une manière ou d'une autre dans ce complot.Pensez-vous que la mobilisation tunisienne et internationale pour ces personnalités, comme Mustapha Djemali par exemple, peut convaincre les autorités de décider une mesure de clémence ?Tout d'abord, il faut mentionner qu'il y a une mobilisation nationale en Tunisie, malgré le climat de peur. Donc, il y a toujours des associations, des militantes et des militants qui essayent de se mobiliser et de faire des actions pour faire pression, pour demander et exiger la libération des détenus, qu'ils soient des politiques ou bien des détenus de la société civile. Malheureusement, sur le plan international, pour nous, on est déjà assez indignés par la position de l'Union européenne. Au moment où Kaïs Saïed fait la répression contre les migrants et la société civile, on voit beaucoup de dirigeants européens qui viennent en Tunisie, qui saluent la Tunisie pour ses efforts menés pour la lutte contre la migration non réglementaire. Il y a donc une complicité aussi de la part de beaucoup de dirigeants européens.Et...