Quelles transformations pour l'économie du vin imposera le climat dans trente ans ? Que faire si les températures continuent de grimper ? Délocaliser les vignes, monter vers les régions plus froides, changer de variétés de raisin ? Les vignerons s'interrogent. Agnieszka Kumor a parcouru les vignobles de France et d’ailleurs à la recherche de ces producteurs passionnés. Aujourd'hui, elle nous invite en Champagne, dans le nord-est de la France. Le train TER arrive à Bar-sur-Aube, une petite ville du sud de la région champenoise. C’est ici entre deux vallées verdoyantes, celle de la Seine et de l’Aube, que s’étend le vignoble de la côte des Bars. Le pinot noir y est roi. Deux autres variétés nobles, le chardonnay et le pinot meunier complètent le tableau. Quelques vieux cépages locaux reviennent au goût du jour grâce à des viticulteurs passionnés. Il s’agit de l’arbane, du petit meslier, du pinot gris et du pinot blanc.Au milieu des vignes ou dans leurs chais, là où le raisin est transformé, les Champenois s’interrogent. L’impact des pesticides sur l’environnement les préoccupe. Certains choisissent la viticulture biologique. Ce n’est pas encore le cas de tout le monde, mais les exploitations agricoles et viticoles qui mettent en place les pratiques vertueuses peuvent désormais faire l’objet d’une certification officielle Haute Valeur environnementale (HVE). D’autres se regroupent autour de Terra Vitis, une certification environnementale spécifique à la viticulture. Mais les maladies de la vigne sont toujours là. Il est très difficile de les combattre en utilisant les méthodes de culture saines. Et si la solution venait des cépages résistants ?Les champagnes de demainC’est dans cette perspective de moindre recours aux des intrants chimiques (mais aussi biologiques, comme le soufre ou le cuivre) que de nouvelles variétés de raisin sont testées en Champagne depuis trois ans. En avril 2016, Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) a lancé un programme de sélection variétale. Il s’agit de croiser les cépages autorisés en Champagne avec des vignes sauvages naturellement résistantes aux maladies.Le projet n’en est qu’à ses débuts, mais Michel Drappier, PDG de la maison de champagne du même nom, y croit : « Je trouve cela formidable. C’est l’avenir de notre profession. On va inventer de nouveaux cépages qui vont faire les champagnes des années 2030, 2040, 2050 et au-delà. » Et là, c’est le vigneron qui parle : « Le sol et le climat constituent la matière du vin, son âme. On ne peut pas recréer le champagne ailleurs qu’en Champagne. Avec ces nouveaux cépages qui seront plantés ici le style champenois persistera. La variété de raisin, c’est un instrument, qui extrait cette âme du sol et du climat, et qui le transforme en un vin pétillant d’une très grande élégance. »Les vignes résistantes aux maladiesHugo Drappier, fils de Michel, a étudié les cépages hybrides lors de ses études à l’école de Changins, en Suisse. Cet établissement privé forme les ingénieurs en œnologie, viticulture et arboriculture. Depuis des années, l’école mène des travaux de recherche et développement autour des cépages résistants. « Ils ont signé un partenariat avec l’Institut de la recherche agronomique (INRA) pour pouvoir développer ces nouveaux cépages en France. Des cépages qui seront plus adaptés à notre climat champenois assez particulier. L’idéal ce serait d’avoir plusieurs résistances à toutes sortes de maladies. J’espère que ces nouvelles variétés vont nous apporter plus de confort. Des vignes qui seront plus faciles à travailler et respectueuses du climat. »Le raisin qui mûrit plus tardMais il n’y a pas que les maladies, il y a aussi le changement climatique. Jusque-là, les champenois n’étaient pas mécontents des effets de réchauffement du climat dans leur région. Mais ils savent que si les températures continuent de grimper, à terme cela posera problème. Ce qui est en jeu c’est le style du vin. Au salon Vinexpo à Bordeaux, Laurent Panigaï, directeur général adjoint de la cave champenoise Nicolas Feuillatte, en est persuadé : certaines variétés nobles succomberont au changement climatique. Selon lui, les variétés hybrides serviront de recours : « L’idée est très simple. Il s’agit de faire des croisements naturels, mais sans faire des OGM (organismes génétiquement modifiés, NDLR). On prend des variétés historiques, de l’appellation Champagne et de son terroir, et on les croise avec des variétés qui ne viennent pas forcément de notre région. Notre objectif est d’obtenir des variétés qui mûrissent plus tard et qui nous permettent de ne plus vendanger en août, mais peut-être en septembre. Tout en gardant la typicité de nos produits. »Le programme de recherche durera au minimum une quinzaine d’années ...