Née à l’île Maurice, Natacha Appanah a travaillé dans l’édition, la publicité et la presse, avant de se lancer dans l’écriture. Considérée aujourd’hui comme l’une des écrivains majeurs de Maurice, la romancière a à son actif neuf livres aux tonalités très différentes. Ses thématiques vont des heurs et malheurs de son île natale aux enfants fugueurs à Mayotte « impatients d’échapper à la gravité de leurs destins », en passant par les dysfonctionnements passionnels au sein des familles en France où l’écrivain vit depuis 1998. Pour nombre d’admirateurs de Natacha Appanah, le nom de cette auteure reste associé à tout jamais à son premier roman Les Rochers du Poudre d’Or (2003), qui raconte avec maîtrise et maestria le parcours plein d’illusions des premiers travailleurs engagés indiens venus chercher fortune dans l’« Eldorado » mauricien.Ce roman a effectivement un fort caractère historique, nourri sans doute d’une documentation précise sur l’histoire de l’île, sa géographie et ses mœurs au début du XIXe siècle lorsque, suite à l’abolition de l’esclavage, les colonisateurs britanniques ont fait venir à Maurice des travailleurs indiens sous contrat pour remplacer les esclaves dans les plantations.Premier roman en français sur l’engagismeLes Rochers de Poudre d’Or est le premier roman mauricien de langue française à traiter du drame des travailleurs indiens engagés. Le mot « engagé » vient de l’« engagisme », le nom par lequel le travail sous contrat est désigné. Natacha Appanah relate dans ce roman avec beaucoup de réalisme comment en promettant monts et merveilles, les agents du gouvernement colonial réussissaient à persuader les Indiens pauvres de s’embarquer pour l’Eldorado mauricien, qui se révèlera un enfer esclavagiste. Il serait toutefois inapproprié de réduire ce roman à sa seule dimension historique car il s’agit ici avant tout d’une œuvre de fiction et d’imagination.Le roman Les Rochers de Poudre d’or est également nourri de légendes et de mythes liés à l’arrivée sur l’île des Indiens, qui constituent aujourd’hui la communauté majoritaire, communauté dont la famille de l’auteur est issue. « J’ai entendu des histoires d’engagés toute mon enfance », se souvient Natacha Appanah qui reconnaît s’être beaucoup inspirée de ces légendes familiales pour écrire son roman.Une des légendes estcelle qui est inscrite dans le titre même de l’ouvrage. Aux dires des spécialistes, les recruteurs murmuraient dans les oreilles des miséreux du fin fond de l’Inde qu’il suffisait de soulever les rochers pour trouver de l’or dans cette île mystérieuse et clémente. Et le tour était joué. Beaucoup ont cru à ces légendes, tout comme les protagonistes du roman de Natacha Appanah.PersonnagesOn suit dans ces pages le parcours de quatre personnages : un exilé volontaire sur les traces de son frère, un « paysan meurtri par la misère et la domination des propriétaires terriens », un candide joueur de cartes et la fascinante Ganga, veuve au sang royal qui a fui le bûcher funéraire de son mari auquel sa religion la condamnait. Alpagués par les affabulations des recruteurs sans scrupules, ils rejoignent d’autres Indiens entassés dans les cales de l’Atlas voguant inexorablement vers leur destin de servitude. Comme ils ne savent pas encore ce qui les attend de l’autre côté de l’océan, les pauvres se mettent à rêver.Ils rêvent « d’un port riche », « des sacs repus de riz, d’épices et de sucre », et des champs de « cannes en fleur bougeant dans le vent pour les saluer ». La réalité se révèlera beaucoup moins romantique, voire cruelle. Dans les plantations de Poudre d’Or, les destinées vont se nouer et les rêves ne tarderont pas à se dissiper. Soumis à la dure loi du contremaître au fouet facile, ces hommes et femmes passeront leur vie à trimer et ne reverront plus jamais leur pays natal. Alors, dans leurs boxes misérables, alignés dos à dos à la lisière des plantations d’où ils aperçoivent par journées claires le bleu de la mer lointaine, les Ganga, les Das, les Chotty, les Badri apprennent à oublier le passé et vivre avec le désespoir.Le roman des originesMalgré sa description plutôt sombre des relations découlant de la domination et de l’esclavage, l’univers de Natacha Appanah n’est pas tout à fait dépourvu d’espoir. Organisé autour de parcours individuels, imbriquant habilement les drames des personnages fictionnels et les étapes mouvementées de l’histoire de l’île Maurice (passage de cette possession française sous souveraineté britannique au XIXe siècle, fin de l’esclavage et arrivée massive des travailleurs indiens qui remplacent les esclaves dans les champs), ce roman ambitieux raconte en fait la naissance de la nation mauricienne. L’auteur descend dans les ...