Totalement coupée de sa famille en Colombie pendant 18 mois en raison du Covid-19, Tatiana Martin a vécu à distance le grand mouvement social qui a touché son pays. C’est à distance aussi que ses parents ont vécu les premiers pas de leurs petits-enfants. La famille désormais réunie en France, l’enseignante a retrouvé sa Madeleine de Proust : les beignets de banane plantain, spécialité de sa mère. En cuisine, Cristina Torres s’affaire déjà. « C’est elle la spécialiste des bananes plantains », sourit sa fille, Tatiana Martin. « Moi je m’occupe de la garniture ». La banane plantain est la star de la recette que la professeure d’espagnol, originaire de Colombie, a choisi de cuisiner aujourd’hui en famille : le tostón ou patacón pisao, qui peut se déguster en plat principal ou en accompagnement. « La banane plantain est la base de l’alimentation du Pacifique », explique Tatiana. « C’est l’influence africaine. Il y a eu beaucoup de métissage en Amérique latine, particulièrement en Colombie. J’étais étonnée de voir qu’en France beaucoup de personnes d’origine africaine consommaient aussi la banane plantain ». Après avoir pelé les bananes en les incisant dans le sens de la longueur, Cristina les coupe en deux et les fait revenir quelques minutes dans une casserole pour les attendrir. « Il faut qu’elles soient dorées, mais pas trop », prévient-elle. Ensuite, elle aplatit manuellement leur chair dans un torchon. On peut aussi utiliser un rouleau à pâtisserie, « ou une grande pierre bien lisse, comme les anciens », ajoute Cristina. Les bananes plantains sont ensuite frites dans l’huile, jusqu’à devenir de petites galettes croustillantes à souhait. À ses côtés, Tatiana commence à faire revenir le guiso, qui agrémentera l’une des garnitures.Une longue séparation Cela fait un an et demi que mère et fille n’ont pas cuisiné ensemble. Lors que la France décrète le premier confinement en mars 2020, Tatiana Martin est à peine rentrée de la maternité avec ses jumeaux. Sa mère, venue l’assister après l’accouchement, est contrainte de rentrer précipitamment en Colombie avant la fermeture des frontières. Depuis, impossible pour les parents de Tatiana de revenir en France, ni pour elle de se rendre à Bogota. C’est à distance que les grands-parents assistent aux premiers pas de leurs petits-enfants, Louis et Mathilde. Ce mardi de juillet, tous sont enfin réunis dans le salon de Tatiana et Julien, son mari. « C’est un soulagement pour moi, explique la professeure d’espagnol. J’avais vraiment peur que mes parents ne voient pas grandir nos enfants. La famille c’est très important pour nous ». Son père, Luis Vanegas, rencontre ses petits-enfants pour la première fois : « On les voyait en visio, mais j’avais hâte de les connaitre et de les serrer dans mes bras ». Deux visions de la crise en Colombie Parallèlement à la pandémie, la Colombie connait une crise économique et sociale profonde. Des manifestations, parfois violentes, ont été durement réprimées ces derniers mois. « J’étais très angoissée, je pensais qu’il y allait avoir un coup d’État », explique Tatiana. « Les jeunes n’en peuvent plus. Ils payent leurs études, car l’Education n’est pas gratuite en Colombie, et finalement il n’y a pas de travail. Moi, je soutiens plutôt les manifestations, mais de manière pacifique ». Ses parents, qui ont subi pénuries et blocages de route, ne sont pas vraiment de cet avis. « Certaines revendications sont légitimes », consent Luis. « Mais la destruction de toutes ces installations publiques a porté préjudice à beaucoup de gens ». « Ils ont arrêté de nombreux vandales infiltrés dans les manifestations qui n’étaient là que pour créer le chaos », rappelle son épouse. Héritage Les bananes plantains sont prêtes. Tatiana y ajoute une pincée de sel. « C’est comme une tartine. On la garnit avec ce que l’on veut », explique-t-elle. Elle a prévu deux préparations : la première garniture est une viande hachée mélangée à un guiso colombien (oignon, tomates, épices), l’autre est au poulet agrémenté de champignons, de béchamel et de crème fraiche. L’enseignante accompagne généralement ce plat d’une salade à base de laitue, de tomates et d’avocat. « C’est un plat qui représente bien la Colombie », affirme Tatiana. L’enseignante regrette que des préjugés perdurent en France. « Souvent, lorsque je dis que je suis Colombienne, le premier commentaire est lié à la drogue, à Pablo Escobar. On le prend très mal, c’est très vexant. Bien sûr, ce sont des choses qui existent encore. Mais il faudrait aussi parler de la littérature, de la musique colombienne, et rappeler que la Colombie est un pays qui a une ...