Qui va gagner la nuit prochaine aux États-Unis ? Kamala Harris ou Donald Trump ? La bataille est beaucoup suivie aussi en Afrique. Cheikh Tidiane Gadio connait bien l'Amérique du Nord. Il est diplômé de l'Université d'État de l'Ohio. Puis, il est rentré au Sénégal, où il est devenu ministre des Affaires étrangères sans discontinuer pendant neuf ans et demi, de 2000 à 2009. Un record national ! Aujourd'hui, il préside l'IPS, l'Institut panafricain de stratégie, en charge de la paix, de la sécurité et de la gouvernance. En ligne de Dakar, il confie ses espoirs et ses craintes au micro de Christophe Boisbouvier. RFI : Quel bilan faites-vous de la politique africaine du président Biden ? Cheikh Tidiane Gadio : Je crois que Biden a quand même réussi certaines choses qui ont été très, très positives pour l'Afrique. Un des grands problèmes que l'Afrique avait avec des dirigeants américains, c'est qu'en général, ils ne s'intéressaient pas trop à l'Afrique. Il y a eu quelques ruptures. George Bush, qui est républicain, avait lancé le MCA [Millennium Challenge Account, NDLR] et avait montré un intérêt réel pour un nouveau partenariat avec l'Afrique. Mais ce que Biden a réalisé, à mon avis, est allé beaucoup plus loin. Il a, par exemple, ramené [en décembre 2022 à Washington] le sommet États-Unis - Afrique qu’Obama avait instauré. Ensuite, il s'est battu récemment pour que l'Afrique soit dotée d'un siège permanent au Conseil de sécurité, mais sans droit de veto, ce qui est absolument à discuter, bien sûr. Globalement, je crois que c'est un grand homme d'État qui a vraiment le sens du service à son pays et un peu à l'humanité. Je trouve qu'il a beaucoup d'empathie aussi, et je pense qu'il est antiraciste. Il a eu une excellente collaboration avec Obama et ensuite, il a une bonne collaboration avec Kamala Harris. Donc, au total, il a beaucoup aidé l'Afrique. À lire aussiSommet États-Unis/Afrique: Joe Biden acte le retour diplomatique des États-Unis sur le continentSur le plan sécuritaire, les effectifs militaires américains en Afrique sont tombés de 5 000 soldats en 2017 à 1 500 soldats aujourd'hui. Est-ce que c'est parce que les Américains veulent partir ou parce que les Africains ne veulent plus des Américains ?Alors, paradoxalement, je ne crois pas que ce soient les Africains qui ne veulent plus des Américains. Mais les Africains veulent une forme de coopération beaucoup plus affirmée, beaucoup plus présente et réelle en matière de renseignement, d'intelligence, d'équipements en satellites par exemple, de surveillance des mouvements des jihadistes et autres. Beaucoup de choses sur lesquelles les Africains ont exprimé beaucoup d'intérêt et de besoin et ils n'ont malheureusement pas eu de réponse favorable. Et effectivement, il y a le grand débat maintenant sur la présence de l'Occident en Afrique, mais je ne crois pas que les États-Unis soient particulièrement ciblés. Ce qui se passe avec la France, l'Union européenne et tout ça, c'est lié quand même à un passé assez spécial qui n'est pas le même que les relations qu'on a eues avec les Américains.Au Niger, après le putsch de juillet 2023, les Américains ont espéré pouvoir conserver leurs bases militaires, à la différence des Français, mais finalement, au mois de mars dernier, ils ont été chassés eux aussi. Est-ce le signe que leur offre sécuritaire n'est pas aussi concurrentielle que celle des Russes ? Absolument. Je pense que les Russes sont tombés à un moment, en Afrique, où ce que j'appelle le populisme et certaines formes de souverainisme ont amené un certain nombre de nouvelles politiques. Et les Russes ont su en profiter. Mais pour moi, l'Afrique ne doit pas chercher, disons, entre guillemets, à rompre avec l'ancienne tutelle parce qu'on a négocié une nouvelle tutelle, ce n'est pas bon pour l'Afrique. Et j'espère que les Africains vont se ressaisir de ce point de vue. Donc, pour les Américains, comme vous le savez, Africom, les différentes initiatives qu'ils ont en matière de sécurité, ce n'est pas très inclusif. Ils contrôlent à peu près tout. Moi, j'ai des informations sur leurs relations avec le Nigeria dans la lutte contre Boko Haram, c'était assez distant, c’étaient des conseils. Très peu de matériel ou de financements. Mais l’engagement qu'on pouvait attendre des États-Unis en tant que puissance mondiale qui a subi de lourdes pertes à cause du terrorisme et qui a une coalition mondiale de plus de 60 pays, cet engagement, on ne l’a pas franchement vu en Afrique, et ça, je crois, c'est une brèche ouverte dans laquelle les Russes se sont engouffrés.À lire aussiLes États-Unis font le point sur leur stratégie militaire en Afrique de l'OuestVous ne voyez pas d'autres pays d'Afrique de l'Ouest sur lesquels les Américains pourraient s'appuyer sur le plan sécuritaire, comme le Nigeria, le Ghana ou la Côte...