Forestier, naturaliste, universitaire, écrivain et grand défenseur de la nature sauvage dans la première moitié du XXe siècle, Aldo Leopold est considéré comme l’un des pères fondateurs de la gestion et de la protection de l’environnement aux États-Unis. Écrivain prolifique et visionnaire, un livre, L’Almanach d’un comté des sables, publié après sa mort, en a fait l’un des grands penseurs de la nature. Né dans l’Iowa le 11 janvier 1887, d’origine prussienne et flamande par sa famille, émigrée aux États-Unis à la moitié du XIXe siècle, Aldo Leopold grandit dans les champs, au bord des ruisseaux. Son père l’emmène à la chasse, mais cela n’empêche pas le jeune garçon de se passionner pour l’ornithologie et il commence à exercer ses talents de naturaliste en dessinant les oiseaux.Le jeune homme entame en 1905 des études de sylviculture à l’Université de Yale, où il obtient sa maîtrise en 1909. Il entre alors au service des Eaux et Forêts, pour lequel il travaillera à la gestion des forêts du Sud-Ouest des États-Unis – Arizona, Nouveau-Mexique – jusqu’en 1928.Quand l’élevage tue les forêtsEn 1911, le jeune homme gère la forêt de Carson au Nouveau-Mexique, traversée par le Rio Grande. La forêt est envahie par les ovins élevés industriellement dans la région et le surpâturage qui détruit le sous-bois, provoque l’érosion de la terre.À partir de la Seconde Guerre mondiale, le service forestier décide que les troupeaux doivent occuper les forêts au maximum de la charge et lance le projet de transformer le Grand Canyon en parc à touristes – une douzaine d’hôtels, un tramway, des milliers de cottages. Plus tard, Leopold regrettera d’avoir à participer à ce projet.À partir de 1918, Aldo Leopold supervise le contrôle des incendies, les infrastructures, les loisirs, la gestion forestière et le pastoralisme sur 80 000 km carrés de terres fédérales dans le sud-ouest des États-Unis. Il constate une fois encore les méfaits causés par le surpâturage à grande échelle. Chasseur depuis son enfance, Aldo Leopold se consacre, en 1926, à une étude sur la situation du gibier, pour le compte de fabricants d’armes de chasse.La forêt, ressource spirituelleDans son livre Aldo Leopold, un pionnier de l’écologie, l’écologue et spécialiste des forêts Jean-Claude Génot le présente comme un forestier hors du commun : « Il conçoit la forêt comme pourvoyeur de biens matériels, mais aussi, idée très nouvelle peu répandue à l’époque, comme une source de bien-être psychologique et spirituel ».Dans cette région où l’esprit des pionniers règne encore, le forestier défend un usage pluriel des terres et des forêts, mais demande à l’État de préserver quelques hectares de forêt originelle afin « d’éduquer le grand public », écrit-il dans un article.Spécialiste des forêts, grand connaisseur de la faune et de la flore, Aldo Leopold préconise d’entretenir les forêts par des coupes sélectives, mais c’est la vision industrielle de la forêt, avec ses coupes rases, qui prévaudra, et il quittera en 1928 le service des Eaux et Forêts pour se mettre à son compte comme consultant.Une flamme verte Lors d’un déjeuner en montagne, Aldo Leopold et un collègue des Eaux et Forêts tuent une famille de loups. Seule survit la louve, mortellement blessée : « Nous atteignîmes la louve à temps pour voir une flamme verte s’éteindre dans ses yeux. Je compris alors, et pour toujours, qu’il y avait dans ces yeux-là quelque chose que j’ignorais, et que la montagne et elle étaient seules à connaître… » relatera-t-il en 1944 dans Penser comme une montagne.Alors que, chasseur, il a participé à l’extermination des prédateurs et des loups en particulier, cet événement pousse Aldo Leopold à penser différemment.Au cours de ses pérégrinations dans les forêts de l’Ouest, Aldo Leopold constate que quand il n’y a plus de prédateurs, les cerfs pullulent et détruisent le sol des forêts : exterminer les prédateurs n’est donc pas une bonne idée, ils jouent un rôle actif dans l’équilibre et la protection de la nature. En 1931, le rapport d’enquête sur le gibier qu’il publie propose de nombreux changements dans la gestion de la faune, « qui sont peu écoutés mais lui valent le respect de la communauté de la conservation », écrit Jean-Claude Génot.En pleine natureÀ partir de 1913 déjà, Aldo Leopold pensait nécessaire de protéger des forêts sauvages, la « wilderness » – nature à l’état sauvage, non traduit en français – ; où l’on peut vivre une « aventure », dans la continuité des pionniers de la Conquête de l’Ouest. Et en 1924, son combat porte ses fruits : la forêt de Gila, au Nouveau-Mexique, est désignée première aire de wilderness, 60 ans avant le Wilderness Act – 1964 –, la loi qui intègrera ces espaces ...