Durant huit mois, les Franco-Algériens ont été les spectateurs impuissants de l'escalade diplomatique entre Paris et Alger. En région parisienne, RFI est allé recueillir leurs témoignages à l'occasion d'un projet théâtral monté par Abdelwaheb Sefsaf, directeur du théâtre de Sartrouville.
Après huit mois d'une crise diplomatique sans précédent entre Paris et Alger, d'escalade, de menaces et de mesures de rétorsion, la France annonce une « nouvelle phase » dans les relations entre les deux pays, après une visite du ministre français des Affaires étrangères à Alger, dimanche 6 avril. Ce n'était évidemment pas la première crise entre les deux pays depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962, et les sujets sensibles sont encore si nombreux que cette réconciliation semble fragile. Des tensions récurrentes qui viennent d'abord heurter tous ceux qui ont des liens avec les deux côtés de la Méditerranée ; les Algériens de France, les binationaux, les enfants d'Algériens, tous ceux qui font que les liens entre les deux pays sont indémêlables.
En région parisienne, tous les vendredis soir, Abdelwaheb Sefsaf, le directeur du théâtre de Sartrouville, anime un atelier pour comédiens amateurs. Sur les 14 participants, les trois-quarts ont des liens avec l'Algérie. Ils ont entre 42 et 65 ans et ont accepté de nous raconter comment ils avaient traversé cette énième crise entre Paris et Alger. « Comme une violence inouïe, parce que cela remet en cause la question de la légitimité », confie d'emblée Mohamed, venu en France à l'âge de huit ans seulement en 1968.
Malika, dont les parents sont originaires d'Algérie, évoque la mise à l'écart du journaliste Jean-Michel Apathie pour avoir comparé les crimes de l'armée coloniale française en Algérie, à certaines exactions commises par les nazis. « Moi, cela m'a mise très mal à l'aise, et je crois que ce qui m'a fait le plus mal, c'est que tu as une espèce de négation par rapport aux exactions de la France en Algérie », estime-t-elle. Pour nos quatre comédiens amateurs, c'est l'un des plus gros nœuds. Selon eux, la France ne parvient toujours pas à regarder la réalité de son passé en Algérie.
« Je crois que la difficulté, elle est là : on n'arrive pas à s'entendre sur l'Histoire. Être Algérien, pour les gens, cela veut aussi dire être musulman. On a l'impression d'avoir un double handicap », regrette-t-elle. « C'est la double peine. Tous les musulmans sont attaqués aujourd'hui, mais l'Algérien, c'est la cible. Certains politiciens se sont dit "Voilà, on va toucher l'Algérie", parce qu'ils ont tous des comptes à régler avec les Algériens », estime Mohamed. « J'ai l'impression qu'être Français intégré ou assimilé, c'est renoncer à ses origines. Pour moi, c'est une hérésie », entend-on encore.
Alors, rien d'étonnant si le projet théâtral que leur a proposé Abdelwaheb Sefsaf les inspire. Il s'intitule Français du futur et ils l'écrivent ensemble. « Si j'ai besoin, moi, de faire ce travail, c'est parce que, quand j'étais enfant, j'étais assez troublé par le fait qu'on me qualifiait, non pas de Français de première génération, mais plutôt d'immigré de seconde génération, comme si mes enfants allaient être des immigrés de troisième génération, et ainsi de suite jusqu'à ne jamais devenir Français » se désespère le metteur en scène.
Mais c'est aussi son histoire qu'il lui fait dire que Paris et Alger n'ont pas d'autres choix que de se réconcilier. « La France a une histoire de 200 ans avec un pays arabe qui s'appelle l'Algérie. On ne peut pas la balayer d'un revers de main. Ce n'est pas possible. C'est d'abord nier l'histoire, c'est insulter la mémoire des disparus. Mais, pire encore, c'est insulter la mémoire des vivants. On tente de réduire l'écartèlement auquel on nous assigne, mais à un moment donné, cela devient intenable », explique-t-il.
Ainsi, pour ne pas se sentir écartelé, la petite troupe a décidé de se servir de son vécu, de ses richesses, pour dresser ensemble le portrait de ce qu'elle incarne, en partie : le « Français du futur ».
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